AL-Ahtam Hebdo : Le Soudan semble tourner une page de son histoire avec l’accord de normalisation avec Israël et sa levée de la liste des pays soutenant le terrorisme …
Amani El-Taweel : En effet, ce sont deux pas importants. Juste avant l’annonce de la normalisation des relations entre Israël et le Soudan, la Maison Blanche a annoncé que Donald Trump avait retiré le Soudan de la liste des Etats soutenant le terrorisme. Cette annonce intervient après que le Soudan a accepté de résoudre certaines demandes des victimes américaines du terrorisme et leurs familles. Et, le gouvernement de transition du Soudan a transféré 335 millions de dollars. Le Soudan est depuis 1993 sur cette liste noire américaine, synonyme d’entrave aux investissements pour ce pays. Le Soudan était puni de la communauté internationale pour avoir accueilli le chef d’Al-Qaëda Oussama Bin Laden dans les années 1990 et a été condamné à verser de telles indemnisations par la justice américaine. Les Etats-Unis ont renoué avec Khartoum déjà sous l’ex-président démocrate, Barack Obama, lorsque l’ex-président soudanais Omar Al-Béchir a commencé à coopérer dans la lutte antiterroriste et joué le jeu de la paix au Sud-Soudan. La révolution qui a renversé Omar Al-Béchir n’a fait qu’accélérer le mouvement. Parallèlement, les Américains ont exercé une forte pression sur Khartoum au sujet de la normalisation avec Israël. A son tour, le premier ministre soudanais, Abdallah Hamdok, a fait de bons calculs et il a profité de cette situation pour sauver son pays et son économie.
— Concrètement parlant, par quoi cela se traduira-t-il ?
— C’est une nouvelle ère pour le Soudan, il commence une nouvelle phase dans son histoire. Ce pays était complètement isolé, il ne pouvait pas obtenir de crédits des instances internationales, son système bancaire était hors du système mondial, les investissements internationaux étaient limités à cause des sanctions. Désormais, le Soudan va intégrer le système économique mondial et va sans doute négocier des aides avec les institutions monétaires internationales. Aussi, Washington a d’ores et déjà promis de fournir au Soudan ses besoins de blé pour les quatre prochaines années. Il a même annoncé que le retrait du Soudan de la liste ouvre la voie à un nouvel avenir de collaboration et de soutien à la transition. Khartoum espère un allègement de sa dette via l’initiative Pays pauvres très endettés (HIPC) et une levée des sanctions à son encontre. Un véritable tournant pour Khartoum qui réclame depuis longtemps cette levée des sanctions, synonymes d’entrave aux investissements pour son économie à bout de souffle, avec une dette qui s’élève à 60 milliards de dollars.
— Pour ce qui est de la normalisation avec Israël, comment les deux pays vont-ils tirer profit de cet accord ?
— Bien sûr, les deux pays vont profiter de cette normalisation dans plusieurs domaines. Tout d’abord, il faut noter que la normalisation des relations avec les Emirats, Bahreïn et le Soudan permet à Israël de sortir de son isolement régional. C’est une stratégie lancée par le président américain, Donald Trump. C’est un pas très important tant pour le Soudan que pour Israël. Pour Israël, le Soudan est un pays africain qui occupe une position stratégique au sein du continent, il jouit aussi d’une grande influence dans les pays de l’est du continent. Cette position permettra à Israël de pénétrer dans les pays africains et faciliter les échanges économiques et commerciaux d’une part, et renforcer les relations politiques de l’autre part. Le Soudan est un pays riche en matières premières et possède d’importantes ressources naturelles dont Israël va profiter, surtout dans le domaine de l’agriculture.
En plus, la législation soudanaise facilite les investissements, on s’attend donc à l’arrivée de gros investissements israéliens, non seulement dans le domaine de l’agriculture mais aussi l’électricité, le commerce, l’infrastructure et la construction. Le Soudan a besoin de financement et de technologie pour se développer et bien sûr, Israël est capable de lui venir en aide. Les Soudanais doivent cependant savoir comment profiter de cette situation et réaliser les objectifs qui aideront le pays à sauver son économie.
— Que signifient ces deux pas à quelques jours de l'élection américaine ?
— Certainement, Trump joue gros avant les élections en séduisant le lobby juif. En même temps, Washington a un autre objectif et suit actuellement une nouvelle stratégie, avec un moindre intérêt accordé au Moyen-Orient, pour se concentrer davantage dans son bras de fer avec la Chine. Et pour protéger ses intérêts dans la région, il y renforce le rôle d’Israël.
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