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Le Soudan tiraillé entre deux camps

Maha Salem avec agences, Mardi, 11 juin 2019

Encouragée par le succès de la grève générale des 28 et 29 mai, l’opposition soudanaise appelle à la désobéissance civile, alors que le Conseil militaire continue à prôner la fin du chaos.

Le Soudan tiraillé entre deux camps
Les manifestations pour soutenir le Conseil militaire ont eu lieu ce vendredi. (Photo : AFP)

Comme prévu, les manifestants soudanais ont repris le chemin de la rue. Bien que le Conseil militaire se soit déclaré prêt à organiser des élections générales d’ici 9 mois au maximum, l’opposition campe sur sa position et appelle à la « désobéissance civile ». Essayant de renforcer la pression sur le Conseil militaire, les chefs de la contestation ont appelé, samedi 8 juin, à « une vraie désobéissance » civile à partir de dimanche, et ont averti que celle-ci ne s’arrêterait qu’avec l’avènement d’un gouvernement civil, leur principale revendication depuis la chute de Omar Al-Béchir le 11 avril. « Le mouvement de désobéissance civile commencera dimanche et ne se terminera que lorsqu’un gouvernement civil aura été annoncé », a déclaré l’Association des professionnels soudanais (SPA), fer de lance de la contestation, dans un communiqué.

Cet appel fait suite à la dispersion, lundi 3 juin, par les forces de sécurité, de plusieurs milliers de manifestants qui campaient devant le siège des forces armées à Khartoum. Voulant faire pression sur la communauté internationale pour trouver une issue à la crise, les manifestants ont accusé les RSF (Forces de soutien rapide) d’être à l’origine de la dispersion du campement et de « la répression » qui a suivi. Surtout après les déclarations lancées par le chef des groupes paramilitaires, le général Mohammed Hamdan Daglo, no 2 du conseil militaire de transition, dans lesquelles il a affirmé qu’il « ne permettra pas le chaos », au lendemain de l’évacuation du sit-in. Partageant le même avis, un autre membre du Conseil militaire a dénoncé les pratiques déraisonnables du mouvement de contestation lui faisant porter l’entière responsabilité des événements regrettables. « Le conseil a décidé de renforcer la présence des forces armées, des RSF et des autres forces régulières pour un retour à la vie normale », a prévenu ce membre du conseil, le général Jamal el-Din Omar.

Le Conseil militaire de transition est au pouvoir depuis la destitution, le 11 avril, du président Omar Al-Béchir, après le triplement du prix du pain dans un climat de crise économique aiguë. La contestation réclame que les forces armées remettent le pouvoir à un gouvernement civil. Mais les négociations sont suspendues depuis le 20 mai en raison de divergences sur la transition. Fin mai, une grève générale de deux jours était parvenue à paralyser le pays. Les deux camps ne parviennent pas à trouver un accord sur la composition d’un conseil souverain censé gérer la période de transition pendant 3 ans.

« Les chefs de l’opposition doivent céder et présenter plus de concessions pour arriver à des compromis applicables. Ils exigent la remise du pouvoir aux civils, mais il faut savoir que le pays passe par une période difficile. Il doit être dirigé par une force influente. Les civils n’auraient pas dû appeler à la désobéissance si tôt, ça devait être la dernière carte à jouer. Après cet appel, les deux côtés campent sur leurs positions, et chaque camp cherche à imposer ses revendications selon son point de vue et essaie de faire valoir son influence », explique Dr Mona Soliman, professeure à la faculté d’économie et de sciences politiques de l’Université du Caire. Et d’ajouter que la seule solution pour régler cette impasse serait une médiation raisonnable par la communauté internationale, arabe ou africaine. Selon l’analyste, l’opposition a été encouragée à lancer l’appel à la désobéissance civile après la réussite de la grève générale observée les 28 et 29 mai, et qui a paralysé le pays, car elle a été suivie tout au long du Soudan.

Médiation africaine

Déjà chef en exercice de l’IGAD et premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed a mené cette semaine une tentative de médiation pour rapprocher les deux points de vue. Après celle-ci, l’opposition a déclaré envisager de reprendre les discussions avec le Conseil militaire de transition, mais sous conditions. Et le premier ministre éthiopien doit retourner une nouvelle fois au Soudan ce jeudi. « Le Conseil militaire a commis une faute en obligeant les manifestants à quitter le quartier général de l’armée », explique Dr Mona Soliman.

Née en décembre d’une colère contre le triplement du prix du pain dans un contexte de crise économique et de mesures d’austérité, la contestation avait pris la forme depuis le 6 avril, d’un sit-in devant le quartier général de l’armée à Khartoum pour réclamer un changement de régime politique. Après le 11 avril, les milliers de protestataires avaient refusé de lever le camp, réclamant un transfert du pouvoir aux civils, jusqu’à leur dispersion le 3 juin. Le 20 mai, après avoir connu des avancées, les négociations entre le pouvoir et les chefs de l’opposition s’achèvent brusquement sans accord sur la composition d’un Conseil souverain. Celui-ci devait assurer une transition de 3 ans, avant un transfert du pouvoir aux civils.

De leur côté, les mouvements islamistes font bloc derrière l’armée, espérant préserver la charia (loi islamique) en vigueur depuis le coup d’Etat ayant porté Omar Al-Béchir au pouvoir en 1989. Ils saluent aussi la médiation du premier ministre éthiopien. Ce dernier, après une rencontre avec le président du Conseil militaire au pouvoir, le général Abdel-Fattah Al-Burhane, et plusieurs chefs de l’opposition, a annoncé : « L’armée doit protéger la sécurité du pays et de son peuple, et les forces politiques doivent réfléchir à l’avenir du pays. L’armée, le peuple et les forces politiques doivent faire preuve de courage et de responsabilité en prenant des actions rapides vers une période de transition démocratique et consensuelle dans le pays ». La visite de M. Ahmed intervient au lendemain de la suspension de la participation du Soudan à l’Union Africaine (UA) jusqu’à l’établissement effectif d’une autorité civile de transition. Le Sierra-Léonais Patrick Kapuwa, président en exercice du Conseil de paix et de sécurité de l’UA, a déclaré que cette institution imposerait automatiquement des mesures punitives aux individus et aux entités qui ont empêché l’établissement d’une autorité civile.

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