Le président Félix Tshisekedi, à gauche, aux côtés du président sortant Joseph Kabila lors de la passation de pouvoir le 24 janvier.
Après 4 mois d’attente, un premier ministre a finalement été nommé en République Démocratique du Congo (RDC). Le professeur Sylvestre Ilunga Ilunkamba est ainsi le tout premier ministre du président congolais, Félix Tshisekedi. Il a fallu des mois de discussions depuis l’investiture du président en janvier dernier, pour que le Front Commun pour le Congo (FCC) de l’ancien président Joseph Kabila et le Cap pour le Changement (Cach) de Tshisekedi parviennent enfin à un compromis. Le nouveau premier ministre— économiste et ancien conseiller principal du président Mobutu Sese Seko au début des années 1990 sur les questions économiques — avait été proposé par Joseph Kabila, prédécesseur de Félix Tshisekedi. C’est ce qu’a annoncé le porte-parole de la présidence la semaine dernière, ajoutant que cela s’est fait en vertu de l’accord politique qui lie aujourd’hui leurs deux coalitions : le Front Commun pour le Congo (FCC) et le Cap pour le Changement (Cach).
Ce long intervalle de temps a démontré la difficulté pour les alliés à la coalition d’harmoniser leurs vues autour d’un même objectif. Pour l’instant, le débat se focalise autour du partage des responsabilités entre le FCC et le Cach. Non seulement le FCC ne cache pas sa boulimie, celui-ci va plus loin en réclamant le contrôle de certains ministères régaliens comme l’Intérieur, les Finances et la Défense. Ce qui irrite le Cach et suscite entre les deux alliés de chaudes empoignades. En effet, les quatre premiers mois de la présidence de Tshisekedi ont été porteurs de grandes leçons. Pour ceux qui en doutaient, il a donné la preuve de l’omniprésence de Joseph Kabila, autorité morale du FCC tout au long du mandat de Tshisekedi. Selon Bob Kabamba, professeur de sciences politiques à l’Université de Liège, cité par RFI dans un article publié le 22 mai, Félix Tshisekedi aurait écarté cette candidature pour ne pas se retrouver pris en tenailles entre son prédécesseur et un autre poids lourd de la politique.
L’ombre de Kabila
Avec sa majorité écrasante dans les deux Chambres du parlement, Kabila a fait comprendre au chef de l’Etat que rien ne pourrait se faire ou se décider sans lui. Certes, c’est le président de la République qui a le dernier mot. Mais, en amont, c’est Joseph Kabila qui rebat les cartes.
Le plus évident est que la RDC a finalement son premier ministre. Mais ce n’est pas pour autant que tout est bouclé. Car le plus dur est à venir. Il s’agit de la composition effective du gouvernement. Des indiscrétions rapportent que les délégués du FCC et du Cach se sont retranchés depuis un temps dans le Kongo central pour parvenir à un accord concernant tout ce qui se rapporte au gouvernement. La nomination du professeur Ilunga Ilunkamba en a d’ailleurs été l’une des résultantes. Quant à la composition effective du gouvernement, aucun signe de dénouement ne s’est encore dessiné. On sait néanmoins que le FCC, qui se contente de sa majorité écrasante au parlement, revendique la part du lion dans l’exécutif national.
Les premières bribes d’infos recueillies auprès des délégués prenant part aux discussions de Kisantu, dans le Kongo central, indiquent que le FCC réclamera 80 % des postes dans le gouvernement central, contre 20 % pour le président de la République et ses alliés du Cach.
La proportion de 80 contre 20 ayant servi de base des discussions entre le FCC et le Cach, les dernières nouvelles indiquent que les délégués des deux camps sont parvenus à redéfinir cette grille de répartition. Si on est encore loin vers un partage équitable des responsabilités dans le gouvernement, on sait néanmoins que le FCC aura plus de ministères que le Cach. A tout point de vue, la pierre d’achoppement dans les discussions entre les deux camps n’est pas forcément le nombre de ministères, c’est plutôt le contrôle de piliers de l’Etat, c’est-à-dire des ministères régaliens. Sur ce point précis, des sources proches des négociations notent le FCC qui, pendant les 18 ans de règne de Joseph Kabila, a toujours réclamé le plein pouvoir des ministères, dit de souveraineté, n’est pas prêt à appliquer la même règle à la présidence de Félix Tshisekedi.
De même, la famille politique du chef de l’Etat tient, elle, à avoir le contrôle des ministères de souveraineté, comme la Défense, l’Intérieur, les Affaires étrangères et les Finances. Ce qui, en toute logique, n’est pas de l’avis du Cach. Evidemment, ce n’est pas l’impasse. Pour autant que les deux n’aient pas brisé le dialogue.
Le plus évident est que le chef de l’Etat sera bien amené à concéder certains ministères de souveraineté à son allié, le FCC. On parle de plus en plus des affaires étrangères qui devaient revenir au FCC, la Défense et les Finances. Le Cach pourrait s’adjuger l’Intérieur et le Budget. Quant au ministère de la Justice, il fait l’objet d’intenses tractations dans les deux camps. Le FCC y tient fermement, alors que le camp du chef de l’Etat a aussi des visées sur le ministère de la Justice. Par ailleurs, pour s’affirmer plus à la tête de l’Etat, Félix Tshisekedi compte aussi sur le retour de l’opposant Moïse Katumbi. Après 3 ans d’exil, la présence sur la scène politique congolaise de l’opposant devrait affaiblir la position de Joseph Kabila et permettre au chef de l’Etat de prendre de l’ampleur, estime les spécialistes.
Difficile de dire qui est le vrai patron, le président ou son prédécesseur qui domine le parlement. Mais entre les deux hommes, l’entente doit régner pour le profit des deux.
Lien court: