Loin des prévisions, le pouvoir en République démocratique du Congo sera partagé entre un président issu de l’opposition et les alliés du président sortant Joseph Kabila. Deux jours après la proclamation, le 10 janvier, de la victoire de Félix Tshisekedi, fils de l’opposant historique, Etienne Tshisekedi, à la présidentielle du 30 décembre, la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) a annoncé les résultats provisoires des législatives donnant la majorité à l’Assemblée nationale au camp pro-Kabila.
Les alliés du président sortant, Joseph Kabila, ont dépassé déjà le seuil des 250 sièges sur 500 au total, ceci, d’après un premier décompte des législatives qui ont eu lieu en même temps que la présidentielle et les provinciales. La Céni n’a donné le nom que de 485 députés, car les élections de 15 d’entre eux ont été reportées dans trois régions (Beni, Butembo et Yumbi). Sur ces 485 députés, l’AFP a pu retracer l’appartenance politique de 429 d’entre eux : entre 261 et 288 sont affiliés à la coalition pro- Kabila, Front Commun pour le Congo (FCC). Le Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) du président sortant Kabila obtient ainsi 48 sièges. Son parti satellite, PPPD, du ministre de l’Intérieur, Henri Mova, compte 20 députés.
Cela veut dire que le premier ministre de Félix Tshisekedi devra être choisi parmi les forces fidèles à son prédécesseur. Dans ce régime semi-présidentiel, le chef du gouvernement est issu de la majorité parlementaire. Or, avant même de parler de coalition et de discussions en vue de former un gouvernement, la tension est déjà vive en RDC. Car les résultats sont contestés par l’autre candidat de l’opposition, Martin Fayulu. Selon les chiffres annoncés le 10 janvier par la Céni, ce dernier est arrivé en 2e position avec 34,83 % des voix, le vainqueur, Félix Tshisekedi, leader de l’UDPS, parti de son père, a, lui, enregistré 38,57 % des suffrages exprimés, et le « dauphin » de Kabila, est arrivé 3e avec 23,84 %.
Des résultats vivement contestés par Fayulu et la Conférence épiscopale du Congo de l’Eglise catholique (CENCO). Cette dernière avait déployé la plus grande mission d’observation électorale le 30 décembre avec plus de 40 000 observateurs alors que l’Eglise du Christ au Congo (ECC) revendique plus de 10 000 observateurs pendant la même période et pour la même opération. Mais pour la mission d’observation électorale de l’Eglise catholique, ces résultats ne correspondent pas aux données en sa possession.
« De l’analyse des éléments observés par cette mission, nous constatons que les résultats de l’élection présidentielle tels que publiés par la Céni ne correspondent pas aux données collectées par notre mission d’observation àpartir des bureaux de vote et de dépouillement », a indiqué l’épiscopat catholique en ajoutant que l’Eglise catholique ne soutient pas les actions de violence et appelle à une maturité de la part des acteurs politiques. La CENCO, qui n’a pas livré le nom de celui qu’elle pense avoir gagné l’élection présidentielle, argue que seule la CENI est habilitée à publier les résultats et que l’Eglise ne s’est limitée qu’à faire son observation.
Résultats contestés
Martin Fayulu, a, lui, saisi la Cour constitutionnelle samedi 12 janvier. Il dénonce des fraudes dans les résultats, et revendique la victoire avec 61 % des suffrages en accusant Joseph Kabila d’avoir orchestré un « putsch électoral » avec Félix Tshisekedi, « totalement complice ». « Si Félix Tshisekedi devient le président, c’est sur un strapontin qu’il va s’asseoir. Il sera le faire-valoir de Kabila qui continuera àtirer les ficelles », a-t-il indiqué, tout en expliquant que Félix Tshisekedi et le président discutent depuis 2015. Un rapprochement qui n’est pas démenti par les partisans de Kabila et Tshisekedi ces derniers jours. « Je rends hommage au président Joseph Kabila. Aujourd’hui, nous ne devons plus le considérer comme un adversaire, mais plutôt comme un partenaire de l’alternance démocratique dans notre pays », a déclaré Tshisekedi lui-même. Un accord existerait entre les deux camps, d’après plusieurs sources. Cet accord garantirait à M. Kabila une majorité au parlement et un droit de regard sur des postes stratégiques (Défense, Finances, gouverneur de la Banque Centrale), d’après une source congolaise. Fayulu a également adressé un appel aux institutions internationales — Nations-Unies, Union africaine, Communauté de développement d’Afrique australe et Union européenne — à le soutenir dans sa démarche.
Sur le plan international, la France, acteur important, a émis des doutes sur les résultats. « Les élections se sont déroulées àpeu près dans le calme, ce qui est une bonne chose, mais il semble bien que les résultats proclamés (…) ne soient pas conformes aux résultats que l’on a pu constater ici ou là, parce que la Conférence épiscopale du Congo a fait des vérifications et annoncédes résultats qui étaient totalement différents », a déclaré Jean-Yves Le Drian sur CNews. Et d’ajouter : « Monsieur Fayulu était a priori le leader sortant de ces élections ».
Quant à l’Onu, son secrétaire général, Antonio Guterres, a félicité le peuple congolais et réitéré l’appui et l’engagement continus de l’Onu à la paix et la stabilité en RDC. Son porte-parole, Stéphane Dujarric, a déclaré depuis New York : « Le secrétaire général appelle toutes les parties prenantes às’abstenir d’actes violents et àrégler tout contentieux électoral par les mécanismes institutionnels établis conformément àla Constitution de la République démocratique du Congo et aux lois électorales pertinentes ».
Selon le porte-parole, le secrétaire général de l’Onu exprime le voeu que la Céni, la Cour constitutionnelle, le gouvernement, les partis politiques et la société civile s’élèvent chacun à la hauteur de sa responsabilité dans le maintien de la stabilité et des pratiques démocratiques en République démocratique du Congo. Loin de ces contestations et selon des analystes, la RDC a fait un gigantesque pari, celui d’une transition négociée, plutôt qu’imposée par la force ou le chaos ز
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