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Climat agité en RDC

Sabah Sabet avec agences, Lundi, 07 janvier 2019

Les résultats des élections générales du 30 décembre en République Démocratique du Congo (RDC), prévues dimanche 6 janvier, ont été reportés. Un report prévisible, mais qui attise les tensions.

Climat agité en RDC
D'après le calendrier initial, le ramassage, la compilation et la centralisation des résultats du vote pour la présidentielle devaient se faire du 31 décembre au 5 janvier. (Photo: Reuters)

L’attente se prolonge en République Démocratique du Congo (RDC) pour savoir qui sera le futur président du pays. L’annonce des résultats des élections générales, prévue initialement pour le dimanche 6 janvier, a été reportée à la semaine prochaine, sans plus de précision. « Il n’est pas possible de publier les résultats dimanche. On avance bien, mais on n’a pas encore tout », a déclaré, samedi 5 janvier, Corneille Nangaa, président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), instance chargée de la centralisation des résultats.

Plus de 39 millions d’électeurs avaient été appelés aux urnes, dimanche 30 décembre, pour désigner le successeur de Joseph Kabila, au pouvoir depuis 18 ans. Mais après une campagne ponctuée de reports et d’élections chaotiques, le report de l’annonce des résultats n’est pas vraiment une surprise. Trois principaux candidats se disputent le pouvoir : l’ex-ministre de l’Intérieur, Emmanuel Ramazani Shadary, soutenu par le président Kabila, et les deux opposants, Martin Fayulu et Félix Tshisekedi. D’après le calendrier initial, le ramassage, la compilation et la centralisation des résultats du vote pour la présidentielle devaient se faire du 31 décembre au 5 janvier. La même opération devrait se dérouler du 31 décembre au 22 janvier pour les législatives nationales et provinciales. Les recours et le traitement des contentieux des résultats étaient prévus du 7 au 15 janvier. La publication des résultats définitifs était annoncée pour le 15 janvier, et le nouveau président devrait prêter serment le 18 janvier.

La Céni sous pression

Le président de la Céni a confié à l’AFP qu’il avait songé à démissionner au beau milieu de ce processus électoral. Officiellement en cause : la lente remontée des résultats depuis les bureaux de vote vers la Céni, en passant par les 179 « centres locaux de compilation », alors que les autorités avaient coupé, officiellement pour des raisons de sécurité, l’accès à Internet depuis lundi 31 décembre. Pourtant, le report des élections ne serait pas lié uniquement au facteur de temps. Il y a donc d’autres raisons. « La Céni est une institution d’appui à la démocratie. La Céni va publier le résultat conformément à la loi. Il y a des diplomates qui s’évertuent à nous menacer.

Il y a des personnalités en interne et en externe qui sont dans cette démarche. Cela n’a pas de sens. C’est d’ailleurs contreproductif », a indiqué Nangaa dans une conférence de presse, dimanche 6 janvier. « Je ne vais pas vous dire de nom. Il y a des gens qui viennent me dire des messages de tel ou tel autre pays. Cela n’a pas de sens. Ceux qui demandent que la Céni soit indépendante sont les mêmes qui viennent nous dire ce que la Céni doit faire. Nous n’accepterons aucune menace », a-t-il ajouté. Par ailleurs, Corneille Nangaa subit visiblement des pressions de la société civile de son pays, et surtout de l’Eglise catholique congolaise. Intransigeante et rigoureuse, ayant démontré sa capacité à tenir tête au régime de Kabila ces deux dernières années, elle se retrouve une nouvelle fois au centre du jeu. La Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), grâce à son réseau constitué de 40 000 électeurs, a affirmé connaître le nom du vainqueur de la présidentielle avant la date prévue de la Céni. « Les données en notre possession, issues des procès-verbaux de vote, désignent un candidat comme président de la République », a déclaré le 3 janvier l’abbé Donatien Nsholé, secrétaire général de la Cenco. En clair, l’Eglise catholique congolaise est déjà en mesure de dire qui est le nouveau président élu. A sa manière, elle met en garde le régime de Kabila, surtout la Céni, contre la tentation de proclamer la victoire d’un autre candidat qu’elle contesterait. « La Céni est appelée à publier, en toute responsabilité, les résultats des élections dans le respect de la vérité », a ajouté M. Nsholé. Bien que la déclaration de la Cenco ait été appuyée par des puissances occidentales comme les Etats-Unis, elle a suscité la colère de la majorité favorable au président Kabila qui a accusé la Conférence épiscopale d’avoir une « attitude partisane » et de « violer gravement la Constitution ».

Un vrai bouleversement

La déclaration de la Cenco constitue un vrai bouleversement sur la scène du théâtre politique congolais, où chacun des trois grands candidats se dit certain de sa victoire. A commencer par le pouvoir en place, qui n’avait jusque-là aucun obstacle de taille ni d’institution de poids osant le défier. La coalition de la majorité présidentielle « déplore, dénonce et condamne fermement l’attitude partisane, irresponsable et anarchique de la Cenco », et les propos de l’abbé Donatien Nsholé, qui « proclame en toute illégalité des tendances » de résultats à la présidentielle. De son côté, le challengeur Martin Fayulu, dont la popularité s’est révélée durant cette campagne, se montre discret et réservé. Depuis sa maison-hôtel voisine du Kempinski, l’opposant si longtemps snobé — y compris dans son propre camp — dit être certain de sa victoire. Jusqu’à la déclaration de la Cenco, cet ancien cadre de société pétrolière était persuadé que la Ceni lui volerait son élection. Spécialiste de l’Afrique centrale, le chercheur français Thierry Vircoulon a déclaré à l’AFP que ce serait le « dauphin » du pouvoir, Emmanuel Ramazani Shadary, qui allait être proclamé vainqueur par la Céni. Selon lui, une fois devenu président, Shadary devra cohabiter avec son prédécesseur, l’ex-président Kabila, à qui la Constitution réserve un siège de sénateur à vie.

« L’importance des élections du 30 décembre 2018 ne réside donc pas dans l’alternance présidentielle tant attendue, mais dans la possible création par ceux qui veulent prolonger leur pouvoir d’un bicéphalisme problématique et incertain », a écrit M. Vircoulon dans un article récent. L’expert envisage plusieurs scénarios, jusqu’au renversement de Ramazani Shadary, par Joseph Kabila, si celui-ci s’émancipe trop vite. Les risques de déclenchement des tensions et de contestations violentes à l’annonce des résultats inquiètent la communauté internationale, dont Washington. C’est pourquoi le président Donald Trump a annoncé l’envoi de 80 militaires américains au Gabon, « en réponse à la possibilité que des manifestations violentes puissent survenir en RDC », ajoutant des menaces de sanction .

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