La paix peut-elle enfin retrouver son chemin dans la Corne de l’Afrique ? Les ennemis d’hier pourront-ils définitivement tourner la page ? Depuis plusieurs semaines est né l’espoir de voir un point final à deux conflits africains importants. Il s’agit premièrement d’un des conflits les plus vieux du continent, celui opposant les deux voisins : l’Erythrée et l’Ethiopie ; et deuxièmement, celui opposant les belligérants au Soudan du Sud, le plus jeune Etat d’Afrique, qui a sombré dans la guerre civile aussitôt après sa création.
Pour ce qui est des deux voisins, après vingt ans de rupture des relations diplomatiques, l’Ethiopie a nommé jeudi 19 juillet un ambassadeur en Erythrée, un geste témoignant du rapprochement spectaculaire entre les deux voisins de la Corne de l’Afrique. « Redwan Hussein a été nommé ambassadeur d’Ethiopie en Erythrée, une première depuis 20 ans », a indiqué la radio-télévision Fana, proche du pouvoir éthiopien, citant le ministère des Affaires étrangères. La réouverture de l’ambassade éthiopienne à Asmara n’avait jusqu’ici pas été précisément évoquée. La nomination d’un ambassadeur éthiopien à Asmara s’ajoute à une effervescence d’initiatives entre les deux anciens ennemis, comme des visites officielles de leurs dirigeants et le retour des vols commerciaux : le premier entre l’Ethiopie et l’Erythrée a relié mercredi 18 juillet Addis-Abeba à Asmara, l’une des étapes de la réconciliation spectaculaire en cours entre les anciens ennemis.
En fait, les deux pays avaient annoncé le 8 juillet la reprise de leurs relations diplomatiques après vingt ans de rupture. Ancienne province éthiopienne, l’Erythrée a déclaré son indépendance en 1993 après avoir chassé les troupes éthiopiennes de son territoire en 1991 au terme de trois décennies de guerre. L’Ethiopie et l’Erythrée avaient rompu leurs relations diplomatiques suite à un conflit frontalier qui les a opposées entre 1998 et 2000 et qui a fait quelque 80 000 morts. Les relations étaient restées particulièrement tendues depuis, en raison du refus de l’Ethiopie de céder à l’Erythrée un territoire frontalier disputé, malgré un jugement d’une commission indépendante internationale soutenue par l’Onu datant de 2002. C’est l’arrivée au pouvoir à Addis-Abeba, en avril dernier, d’Abiy Ahmed, 42 ans, qui a ouvert la voie au dégel des relations. Dans le cadre du train de réformes sans précédent depuis plus de 25 ans dans le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, engagé par le nouveau dirigeant éthiopien, ce dernier avait, le mois dernier, créé la surprise en déclarant accepter un règlement du conflit frontalier avec l’Erythrée datant de 2002. Il y a deux semaines, il s’est rendu en visite officielle à Asmara où il a signé avec le président Issaias Afeworki une déclaration mettant officiellement fin à vingt ans d’état de guerre. Le président Afeworki lui a rendu sa visite samedi 14 juillet, rouvrant l’ambassade d’Erythrée à Addis-Abeba. Le rapprochement a été bien accueilli en Ethiopie où la population partage des liens culturels étroits avec les Erythréens et où des familles sont séparées de leurs proches, de l’autre côté de la frontière.
Au-delà de l’enthousiasme affiché de part et d’autre par ce réchauffement, plusieurs raisons pratiques expliquent ce rapprochement. « Il y a une vraie volonté politique chez les deux pays de restaurer la paix, sans compter le soutien régional et international à cette réconciliation », indique Amani Al-Taweel, directrice du programme africain au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, en ajoutant que les deux peuples éthiopiens et érythréens ont des relations sociales historique, puisque l’Erythrée faisait partie de l’Ethiopie. « Du point de vue stratégique, la réconciliation est bénéfique aux deux. L’emplacement géographique de l’Ethiopie sur les côtes de la mer Rouge, sa force maritime, la levée des sanctions imposées à l’Erythrée et les profits économiques pour les deux pays sont autant de facteurs prometteurs qui garantissent le succès de cette réconciliation, sans oublier le soutien international ».
Tentatives acharnées
au Soudan du Sud
Si les tensions entre l’Ethiopie et l’Erythrée sont sur le point de se dissiper et que l’optimisme est de mise, au Soudan du Sud, le pays le plus jeune d’Afrique, théâtre du conflit civil le plus jeune, la situation est quelque peu différente. Malgré les tentatives pour une réconciliation entre le président sud-soudanais, Salva Kiir, et son ex-vice-président, Riek Machar, des craintes demeurent. La signature d’un accord « préliminaire » de partage du pouvoir entre le gouvernement et les rebelles du Soudan du Sud, qui était prévue jeudi 19 juillet à Khartoum, a été reportée à la suite de divergences entre les deux belligérants. Les deux parties, enfoncées dans une guerre civile depuis cinq ans, devaient signer l’accord préliminaire de partage du pouvoir qui doit être suivi d’un accord définitif le 26 juillet, selon les autorités de Khartoum qui parrainent depuis juin des pourparlers de paix. Le ministre soudanais des Affaires étrangères, Al-Dirdiry Ahmed, a annoncé à la presse que les deux parties concernées avaient fait des remarques qu’elles souhaitent intégrer dans le document à signer. M. Ahmed a indiqué que le Soudan, pays qui soutient la réconciliation et devait accueillir la signature de l’accord, étudierait les remarques apportées au document. « Une nouvelle date pour la signature de l’accord préliminaire sera annoncée plus tard », a précisé le ministre, vendredi 20 juillet, insistant sur le fait que l’accord définitif serait signé le 26 juillet en présence du président soudanais Omar Al-Béchir.
Le groupe du leader rebelle, Riek Machar, a également fait savoir qu’il ne signera le document que si ces remarques sont intégrées. Le Soudan du Sud s’est enfoncé dans une guerre civile fin 2013 quand le président sud-soudanais, Salva Kiir, a accusé son vice-président, Riek Machar, de fomenter un coup d’Etat. Cette guerre civile dans le plus jeune pays du monde, indépendant du Soudan depuis 2011, a fait des dizaines de milliers de morts et des millions de déplacés.
MM. Kiir et Machar sont déjà convenus d’instaurer un cessez-le-feu permanent et de retirer leurs troupes des zones urbaines. Lors de pourparlers le 7 juillet à Kampala, en Ouganda, ils ont également accepté un accord de partage du pouvoir qui doit voir Riek Machar retrouver la vice-présidence. Là aussi, selon Amani Al-Taweel, le soutien et la volonté internationaux et régionaux pour mettre fin aux conflits qui frappent le plus jeune Etat d’Afrique sont importants. « Mais pas suffisant, dit-elle. Car le cas au Soudan du Sud est plus compliqué, le conflit ayant de différentes dimensions ». Selon la spécialiste, les différends concernent plusieurs volets : « conflit sur le pouvoir, sur l’économie, conflit ethnique, autant d’aspects qui compliquent l’affaire ». D’où, selon elle, la nécessité d’imposer les sanctions sur des personnes et non sur les pays, d’autant plus que l’embargo sur les armes, qui vient d’être renouvelé par l’Onu, n’est pas suffisant. Cela dit, Amani Al-Taweel estime que malgré les difficultés, la possibilité de faire la paix existe bel et bien au Soudan du Sud.
Reste à dire que l’un des facteurs les plus importants est le rôle international. « Il y a une volonté régionale et internationale pour ramener la paix dans cette région d’Afrique et ce, pour différentes raisons : améliorer la situation sécuritaire aux bords de la mer Rouge, notamment afin de limiter le rôle iranien, protéger le trafic mondial et éviter une implantation de groupes terroristes », conclut la spécialiste .
Lien court: