« La corruption y ressemble à un cancer », avait déclaré Muhammadu Buhari, président du Nigeria, à la suite de son élection en 2015, qualifiant la situation dans son pays, première puissance pétrolière du continent et en même temps le plus frappé par la corruption. Bien que Buhari ait promis de combattre et de mettre un terme à cette spirale infernale, la corruption, qui a gangrené toutes les époques et tous les gouvernements depuis les années 1960, existe toujours.
Lors d’un sommet anticorruption tenu il y a deux ans, l’ancien premier ministre britannique, David Cameron, avait décrit le Nigeria comme un pays « extraordinairement corrompu ». Ce qu’il avait toutefois oublié de mentionner, c’est qu’un grand nombre de fonds volés sont réinvestis ou stockés dans des banques britanniques ou off-shore. Dans ce cadre, le Sommet du Commonwealth sur le thème de la lutte anticorruption, qui s’est tenu vendredi 18 mai à Abuja, s’est penché sur la possibilité de restituer cet argent au Nigeria et aux pays africains de l’organisation de la couronne britannique.
Selon Transparency International, le Nigeria se place au 148e rang des pays les plus corrompus au monde (sur 180). Au niveau national, l’Agence de lutte contre la corruption et les crimes financiers (EFCC) saisit régulièrement des biens soupçonnés d’avoir été mal acquis. Le directeur de l’EFCC, Ibrahim Magu, a ainsi déclaré avoir récupéré 500 milliards de nairas (près de 1,388 milliard de dollars).
Or, les circonstances controversées dans lesquelles s’opèrent ces saisies, souvent non suivies de procès, soulèvent de nombreuses critiques, notamment au sein du parlement nigérian. M. Magu, allié du président Buhari, a donc fait des recouvrements de fonds à l’international, son cheval de bataille, pour redorer l’image de sa lutte anticorruption.
La démarche est compliquée. Faute d’accords entre les pays, il revient à celui où les fonds ont été supposément volés d’apporter les « preuves » de corruption au pays où ils ont été placés: un casse-tête dans des pays où le système judiciaire est souvent défaillant. Au Nigeria, les autorités avancent le chiffre de 400 milliards de dollars de perte dans des comptes ou des avoirs placés à l’étranger depuis l’indépendance, mais ces chiffres sont difficilement vérifiables. L’ex-président Sani Abacha, qui a dirigé le pays entre 1993 et 1998, aurait détourné à lui seul environ 4 milliards de dollars (soit 2 à 3% du PIB du pays chaque année, selon l’agence des Nations-Unies contre la drogue et le crime).
La Suisse, qui s’est engagée à être « irréprochable et avant-gardiste » dans les recouvrements de fonds volés, a annoncé avoir restitué 700 millions de dollars au Nigeria ces dix dernières années. En avril, la Suisse a renvoyé 322,51 millions de dollars, détournés par l’ex-dictateur Abacha, à Abuja. La présidence nigériane a affirmé vouloir réinvestir cet argent dans des programmes de développement visant « les plus pauvres », dans un pays où près de 70% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, mais la plus grande opacité règne toujours dans la gestion des comptes de l’Etat.
Marie Chêne, de Transparency International, déclare d’ailleurs qu’il existe, de manière globale, peu de preuves de l’impact direct des fonds recouvrés sur le niveau de pauvreté. « Il faut mettre en place un mécanisme solide de traçabilité des biens pour s’assurer qu’ils soient utilisés de manière efficace pour le développement », écrit-elle dans un récent rapport de l’organisation.
Debo Adeniran, de la Coalition contre les dirigeants corrompus, une association locale nigériane, salue, quant à lui, les efforts déployés par l’administration Buhari dans ce sens et la signature d’accords avec plusieurs pays, comme les Emirats arabes unis en janvier 2016, pour recouvrer les fonds volés.
Un problème global
En fait, la corruption représente l’un des grands défis, pas seulement au Nigeria, mais sur le continent tout entier, et les fonds volés demeurent un casse-tête pour les pays concernés. Selon la secrétaire générale du Commonwealth, Patricia Scotland, le continent africain perd quelque 148 milliards de dollars chaque année à cause de la corruption. Un « tsunami », selon elle. « Nous savons tous que (...) l’argent siphonné par des pratiques de corruption monstrueuses représente celui que nous n’avons pas pour offrir à nos peuples espoir et aspiration », a-t-elle déclaré lors du sommet.
Le président Buhari s’est lui aussi plaint des « complexités » administratives et judiciaires qui entourent le recouvrement des fonds volés. « La lutte contre la corruption ne sert à rien s’il existe des paradis bancaires où les coupables peuvent déposer leur argent », a regretté le chef de l’Etat dans un discours lu en son nom lors du sommet. Buhari a appelé les pays africains à affronter ensemble le problème du détournement d’argent qui est, selon lui, un problème global qui nécessite une collaboration globale. « Si vous allez seuls face aux pays étrangers, vous aurez des problèmes », a expliqué, à l’AFP, Roger Koranteng, conseiller spécial dans la lutte anticorruption du Commonwealth. « En face, les pays sont unis et organisés entre eux », conclut le conseiller, en citant l’exemple de l’Union européenne.
Or, la situation n’est pas toute sombre, et les efforts déployés contre ce fléau commencent à porter certains fruits. Paul Banoba, conseiller régional de l’Afrique à Transparency International, explique, dans un article publié sur le site de l’organisation le 28 avril dernier, que la publication de la dernière édition de l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) offre un bon point de repère pour situer les efforts de lutte anticorruption que l’Union Africaine (UA) poursuivra tout au long de 2018. L’UA a, en effet, placé ses travaux pour l’année en cours sous le thème « Remporter la lutte contre la corruption: une voie durable vers la transformation de l’Afrique ». Cette initiative offre à l’Afrique une occasion opportune de dresser le bilan de ses efforts pour venir à bout de la corruption.
Sur bien des aspects, l’IPC offre des motifs d’espoir accrus pour l’avenir de l’Afrique. C’est ainsi que les transformations qui ont eu lieu au Rwanda et au Cap-Vert montrent qu’à la faveur d’un effort soutenu, il est possible de maîtriser la corruption. Les investissements que des pays comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal ont consentis dans ce domaine commencent eux aussi à produire des fruits. Mais à l’extrémité inférieure de l’IPC, où l’on trouve des pays comme le Soudan du Sud et la Somalie, la lutte contre la corruption demeure encore une tâche herculéenne .
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