
Neuf personnes sont mortes cette semaine dans des violences électorales au Kenya.
(Photo: AFP)
Des violences meurtrières frappent de nouveau le Kenya, la crise de la présidentielle ne cessant de prendre de l’ampleur. Depuis samedi, date du nouveau scrutin présidentiel, la tension ne fléchit pas. Le sortant Uhuru Kenyatta est largement en tête de la présidentielle boycottée par l’opposition et marquée par une participation en berne. Selon des résultats non officiels publiés par l’un des principaux quotidiens du pays, The Nation, M. Kenyatta obtiendrait 97 % des voix. Son principal opposant, Raila Odinga, s’était retiré du scrutin, estimant que les réformes de la Commission électorale qu’il avait demandées n’avaient pas été effectuées. Mais des bulletins à son nom étaient disponibles dans les bureaux de vote. M. Odinga avait appelé ses partisans à boycotter ce qu’il qualifie de « mascarade » électorale, rappelant que les conditions n’étaient absolument pas réunies pour la tenue d’un scrutin transparent. M. Odinga a aussi réitéré, vendredi dernier, son appel à une campagne de désobéissance civile, afin, a-t-il dit, de contraindre le pouvoir en place à accepter l’organisation d’une nouvelle élection dans les 90 jours.
Le très faible taux de participation, estimé à 35 %, pose d’ores et déjà la question de la légitimité de M. Kenyatta. S’il est confirmé, ce taux serait, de loin, le plus bas depuis les premières élections multipartites dans le pays en 1992. Et la presse kényane s’interroge déjà sur la validité de l’élection, susceptible d’être contestée devant la Cour suprême. D’autant plus que 20 circonscriptions (les bastions de l’opposition kényane — bidonvilles de la capitale Nairobi et ouest du pays), sur 290 n’ont pas pris part au vote à cause d’une situation chaotique. Face aux tensions, la Commission électorale a décidé de reporter, à une date indéterminée, une nouvelle fois le scrutin dans l’ouest du pays, qui aurait dû s’y tenir samedi, évoquant « les vies en danger » du personnel électoral. Ailleurs, neuf personnes sont mortes lors des violences de ces derniers jours, une cinquantaine depuis l’élection invalidée du 8 août, tuées pour la plupart dans la répression brutale des manifestations par la police.
Vers un affrontement ethnique ?
Or, le risque d’une escalade pèse lourd, car la crise présidentielle est en train de tourner à un bras de fer inter-ethique. Dans le bidonville de Kawangware à Nairobi, des heurts entre communautés — notamment entre l’ethnie Kikuyu d’Uhuru Kenyatta, majoritaire dans le pays, et des jeunes Luo, la communauté du leader de l’opposition, Raila Odinga — ont éclaté et des échoppes de commerçants kikuyu ont été incendiées. Ces incidents ravivent le douloureux souvenir des violences ethniques qui avaient accompagné la présidentielle de fin 2007 (1 100 morts, 600 000 déplacés). « Nous l’avons vu par le passé, ces incidents sporadiques violents peuvent se transformer en confrontation aux conséquences tragiques. Si aucune mesure n’est prise rapidement, il est probable qu’on se dirige vers cette situation », s’alarmait, samedi 28 octobre, The Daily Nation dans un éditorial. Ces mois de crise électorale ont mis en relief les frustrations et le sentiment de marginalisation d’une partie de la société kényane, à savoir l’ethnie Luo. Depuis l’indépendance du Kenya, en 1963, trois présidents sur quatre ont été kikuyu, ethnie qui domine également l’économie du pays.
Ainsi, cette présidentielle s’est centrée sur la lutte historique de pouvoir entre les deux tribus des deux hommes (Kikuyu pour Kenyatta et Luo pour Odinga). Cité par le journal français Le Monde, David Anderson, historien, professeur à l’Université de Warwick et l’un des meilleurs connaisseurs du Kenya moderne, a déclaré qu’au-delà de cette lutte, aucun d’eux ne souhaite réellement s’attaquer aux problèmes de fond du Kenya. « C’est une crise existentielle qui atteint la nation dans ses fondements. Elle est le résultat de trois décennies de frustration face à un système démocratique qui n’a pas tenu à ses promesses », estime l’analyste.
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