Minée par des affrontements interconfessionnels depuis quatre ans (le renversement de l’ancien président François Bozizé en 2013 par la coalition pro-musulmane de l’ex-Séléka avait entraîné une contre-offensive des milices anti-Balakas prétendant défendre les chrétiens), la Centrafrique est de nouveau sujette aux troubles. La semaine dernière, au moins 26 personnes ont été tuées et une centaine blessées, au cours d’un affrontement dans le sud-est de la Centrafrique. Selon des sources humanitaires et de la Mission de l’Onu en Centrafrique (Minusca), une attaque des anti-Balakas a eu lieu mercredi dernier à Pombolo au sud du pays, entraînant une contre-offensive de l’Union pour la Paix en Centrafrique (UPC), faction de l’ex-Séléka pro-musulmane. Ce groupe armé avait initialement annoncé la mort de 150 personnes, présentant sur les réseaux sociaux des photos comme étant celles des victimes. Mais les informations sont difficilement vérifiables, l’accès à l’information dans cette zone étant très compliqué. « Il n’y a aucune ONG, ni Casques bleus (de façon permanente) dans la zone », a noté le directeur du Bureau des affaires humanitaires de l’Onu, Joseph Inganji. Depuis Bangassou, la ville théâtre des violences, l’Onu a dépêché jeudi 19 octobre des soldats gabonais et marocains. Deux Casques bleus ont été blessés vendredi, selon des sources onusiennes, et les affrontements ont repris dans la ville.
Le gouvernement centrafricain a réagi, vendredi 20 octobre, à cette nouvelle flambée de violence dans le sud-est en exprimant sa « ferme condamnation de ces actes de barbarie », selon un communiqué du ministre de l’Administration du territoire, Jean-Serge Bokassa. Il a appelé la Minusca à « faire preuve de plus d’engagement et à réévaluer leur mode d’intervention dans le cadre de la protection des civils ».
En fait, depuis plusieurs mois, la Centrafrique fait face à une recrudescence de violence entre les groupes armés, impliquant notamment des milices anti-Balakas à majorité chrétienne et des groupes issus de l’ex-Séléka à dominante musulmane. 60 civils et 22 combattants ont été tués à Gambo début août, et au moins une vingtaine de morts à Kembe, ville voisine, mi-octobre. Ces nouveaux massacres ont déclenché une vague d’indignation et de soutien de la part des musulmans centrafricains : des Journées villes mortes ont été organisées à Birao (nord), Bria (est) et Bangui.
Renforcement probable de la Minusca
Ce regain de violence en Centrafrique intervient alors que le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, y a entamé, mardi 24 octobre, sa première visite d’une opération de maintien de la paix. Une visite qui intervient avant le probable renouvellement de la mission des Casques bleus, en novembre prochain. Un renforcement des effectifs des forces est même attendu : dans un rapport remis le 17 octobre au Conseil de sécurité, Antonio Guterres recommande de renforcer avec 900 Casques bleus la Minusca, qui en compte actuellement un peu plus de 10 000. Le président centrafricain, Faustin-Archange Touadéra, avait estimé en septembre, devant l’Assemblée générale des Nations-Unies, qu’il faudrait plusieurs milliers de militaires supplémentaires.
En fait, la Centrafrique détient le record des interventions internationales sur son sol. En raison d’une histoire marquée par une instabilité politique chronique, le pays a connu une dizaine d’interventions internationales, sous le drapeau de l’Onu (Minusca, 12 500 hommes depuis 2014), de l’Union européenne, de l’Union africaine ou d’organisations régionales africaines, mais aussi de la France, ex-puissance coloniale (opération Sangaris, 2013-2016).
Malgré cela, la Centrafrique n’a pas pu relever la tête : l’Etat peine à asseoir son autorité en dehors de la capitale Bangui, et les morts civils, depuis le début de l’année, ne cessent de s’accumuler dans le pays. « Il ne faut pas se voiler la face : la situation est grave », a reconnu récemment Adama Dieng, conseiller spécial de l’Onu pour la prévention du génocide, venu en Centrafrique pour enquêter sur les « signes avant-coureurs » de génocide dont avait parlé un haut responsable onusien, fin août.
Pourtant, l’élection de Faustin-Archange Touadéra en 2016, après une présidence de transition post-crise de 2013, avait suscité une vague d’espoir : soutenu par l’Onu et la France, le scrutin représentait un nouveau départ avec, en maîtres mots, justice pour les crimes commis et restauration de l’autorité de l’Etat. « L’échec est retentissant », estime un an plus tard un diplomate occidental.
Accusé de passivité par de nombreux détracteurs, le président Touadéra a adopté une stratégie de contentement général, au prix de ne satisfaire personne. Mi-septembre, il a ainsi inclus des représentants des principaux groupes armés au gouvernement, malgré sa volonté martelée à maintes reprises de mettre en place une « justice implacable ». « C’est le prix à payer pour la paix », soupire un autre membre du gouvernement, sous couvert d’anonymat. Mais un tel geste d’apaisement risque d’être mal interprété, voire de susciter des réactions violentes.
A cela s’ajoute le fait que les affrontements ont pris une nouvelle allure. Les groupes armés, une quinzaine recensés, combattent sans relâche pour le contrôle des ressources naturelles et la conquête du gâteau politique. Il ne s’agit plus seulement du bras de fer entre la coalition de l’ex-Séléka et les milices anti-Balakas.
Pour sortir de l’impasse, l’Onu a lancé en septembre dernier un programme de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR), présenté comme l’indispensable stratégie de sortie de crise. Quelques groupes armés l’ont certes accepté, mais celui-ci commence à peine et reste fragile. De même, l’Europe et la France forment l’armée nationale, et une Cour Pénale Spéciale (CPS), chargée de juger les crimes commis dans le pays depuis 2003, a été créée. Mais les soldats centrafricains formés n’ont toujours que très peu d’armes, en raison de l’embargo instauré en 2013 par l’Onu, et la CPS n’est pas encore opérationnelle. « C’est un pays sous perfusion internationale », juge le patron d’une ONG sur place, cité par l’AFP.
A cela s’ajoutent d’autres maux du fait de l’absence de l’Etat : les frontières de la Centrafrique sont plus que jamais poreuses et autorisent tous les trafics, armes avec les deux, Congo et le Soudan, bétail avec le Tchad, diamants avec le Cameroun. Autant de facteurs qui font qu’aujourd’hui, 1,1 million de Centrafricains sont déplacés : 600 000 sont déplacés à l’intérieur du pays et 513 000 dans des pays voisins.
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