C’est un climat politique très tendu que vit le Kenya en cette période pré-électorale. Deux manifestants ont été tués vendredi 13 octobre dans l’ouest du Kenya au cours d’affrontements avec la police, des centaines de personnes ayant bravé l’interdiction de manifester pour faire entendre leur voix à l’approche de la présidentielle prévue le 26 octobre. La coalition d’opposition Nasa, qui avait annoncé des rassemblements quotidiens, a en effet été rendue furieuse par la décision prise jeudi 12 octobre par le gouvernement d’interdire les manifestations dans les centres d’affaires des trois principales villes du pays, Nairobi, Mombasa et Kisumu. Le ministre de l’Intérieur, Fred Matiangi, avait justifié cette décision par « la menace claire, présente et imminente de troubles à l’ordre public », estimant que les précédentes manifestations avaient dégénéré en violences contre les forces de l’ordre et le public, et débouché sur des destructions de biens.
En fait, ces décès sont les premiers depuis les violences qui avaient marqué les jours suivant les élections générales du 8 août dernier, lesquelles avaient fait au moins 37 morts, dont 35 tués par la police, selon la Commission nationale kényane des droits de l’homme (KNCHR). Le retour des violences indique donc que la tension, née lors du scrutin d’août dernier, n’a pas disparu, même si le 1er septembre dernier, la Cour suprême avait décidé d’invalider la réélection du sortant Uhuru Kenyatta à la présidentielle du 8 août, face au leader de l’opposition Raila Odinga. La cour avait mis en avant des irrégularités dans la transmission des résultats et avait pointé du doigt la Commission électorale (IEBC) pour justifier cette décision, une première en Afrique, qui avait été saluée pour son courage à travers le monde.
Incertitude
Rien n’y fait pourtant. Après l’euphorie qui a suivi cette décision, c’est le retour à la case départ : en pleine guerre électorale pour le nouveau scrutin, le leader de l’opposition et le principal rival du président sortant, Raila Odinga, a annoncé son retrait de la présidentielle du 26 octobre, arguant que l’IEBC n’avait pas entrepris sa refonte nécessaire pour organiser une élection crédible, dont l’éviction de certains de ses responsables.
La décision d’Odinga prolonge l’incertitude politique dans laquelle le Kenya, première économie d’Afrique de l’Est, est plongé depuis plus de deux mois. Odinga avait menacé à plusieurs reprises de boycotter cette nouvelle élection si des membres de la commission électorale qu’il accuse d’avoir couvert les irrégularités n’étaient pas remplacés. « La commission électorale n’a pas l’intention de modifier ses opérations, et une partie de son personnel pour garantir que les irrégularités qui ont conduit à l’invalidation du 8 août ne se reproduiront pas », a expliqué le chef de l’opposition au cours d’une conférence de presse tenue la semaine dernière. Et d’ajouter : « Tout indique que l’élection programmée le 26 octobre sera pire que la précédente, dans l’intérêt des Kényans, de la région et plus largement du monde, nous estimons que le mieux sera que la National Super Alliance (ndlr, coalition de l’opposition) soit absente de cette élection ».
Le chef de l’opposition kényane a fait cette annonce alors même que les élus du parti Jubilee au pouvoir débattaient d’amendements à la loi électorale, dont l’un prévoit qu’en cas de retrait d’un des deux candidats à la présidentielle, l’autre est automatiquement déclaré victorieux. Cette séance parlementaire a évidemment été boycottée par l’opposition.
En réponse, le président sortant a déclaré que l’élection aura lieu comme prévu et s’est dit sûr de l’emporter à nouveau, rappelant la victoire de son parti aux élections parlementaires et des 47 gouverneurs du pays qui ont eu lieu cet été en même temps que la première présidentielle. « Retourner aux urnes ne nous pose aucun problème. Nous sommes certains d’obtenir plus de voix que la dernière fois », a dit Uhuru Kenyatta.
« Le bras de fer entre Kenyatta et Odinga laisse présager encore des semaines de troubles politiques, et toute erreur de calcul de l’un ou l’autre camp pourrait rapidement dégénérer », estime Murithi Mutiga, chercheur à l’International Crisis Group interrogé par Reuters. « L’économie est déjà usée par des mois et des mois de campagne électorale et on est maintenant dans l’impasse politique. Kenyatta va tout faire pour s’assurer que l’élection aura lieu et Odinga pourrait retourner devant la Cour suprême », explique-t-il, en ajoutant que les deux camps vont inévitablement essayer de se mesurer, y compris dans les rues. « On pourrait assister à des affrontements entre police et manifestants », ajoute ce dernier.
Toutes ces tensions rappellent le climat de la présidentielle de 2007. Les Kényans gardent encore en mémoire le souvenir de cette élection qui s’est terminée par un bain de sang. Déjà candidat à l’époque, Raila Odinga, 72 ans aujourd’hui, avait contesté le résultat — la victoire de Mwai Kibaki — et avait appelé à des manifestations. Plus de 1 200 personnes avaient trouvé la mort dans les affrontements ethniques post-électoraux.
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