
Manifestations de l'opposition contre le pouvoir.
(Photo:Reuters)
L’annulation de l'élection présidentielle d’août dernier au Kenya ne semble pas avoir apaisé les tensions. Et, à un mois de la nouvelle présidentielle kényane, la tension entre l’opposition et le pouvoir ne fait qu’augmenter. Dernier point de discorde, la loi électorale. Depuis jeudi 28 septembre, l’opposition s’insurge contre la volonté du parti au pouvoir de modifier en urgence la loi électorale en vue de la présidentielle du 26 octobre, organisée après l’annulation du scrutin du 8 août dernier. Selon l’opposition, Jubilee, le parti au pouvoir, veut imposer le retour du scrutin manuel et des procès-verbaux électoraux non uniformisés. La Cour suprême avait invalidé le 1er septembre dernier la réélection du président sortant, Uhuru Kenyatta, avec 54,27 % des voix contre 44,74 % à l’opposant Raila Odinga, citant de nombreuses irrégularités dans la transmission des résultats et estimant que l’élection n’était « ni transparente, ni vérifiable ».
Devant la presse, Odinga a dénoncé, jeudi dernier, la procédure initiée par le parti au pouvoir pour amender la loi électorale, la qualifiant d’attaque en règle contre la démocratie et la Constitution de l’économie la plus dynamique d’Afrique de l’Est. « J’appelle cette génération à résister à la tentative de nous ramener à l’époque de la dictature du parti unique », a déclaré le vétéran de la politique kényane âgé de 72 ans et ardent promoteur de la Constitution de 2010. « Trop, c’est trop (…) Nous appelons à des manifestations dans l’ensemble du pays, des manifestations pacifiques », a poursuivi Odinga, réitérant un précédent appel qui avait été peu suivi. Quelque 300 de ses partisans s’étaient rassemblés la semaine dernière à Nairobi, devant le siège de la Commission électorale (IEBC), pour réclamer la démission d’une partie de son personnel. Ils avaient été dispersés par la police à coups de gaz lacrymogènes.
L’opposition claque la porte
Plusieurs cadres du parti au pouvoir de M. Kenyatta, 55 ans, ont balayé les accusations de l’opposition expliquant que les amendements visaient seulement à régler les « lacunes » du texte actuel. Argument rejeté par l’opposition estimant que ces modifications reviendraient à rendre légales « les irrégularités et illégalités » soulevées par la Cour suprême dans son jugement. Selon l’AFP, le texte intitulé Loi électorale 2017 prévoit que les résultats enregistrés manuellement priment sur ceux envoyés électroniquement, revenant de facto, selon M. Odinga, à restaurer un scrutin manuel. L’introduction d’une composante électronique au processus électoral avait été décidée après le fiasco des élections de fin 2007 qui avaient débouché sur les pires violences politico-ethniques (1 100 morts) dans le pays depuis son indépendance en 1963.
De même, les amendements prévoient que le président de l’IEBC peut être remplacé en cas d’absence par son vice-président et que les procès-verbaux des bureaux de vote ne doivent pas nécessairement être uniformisés. Or, a rappelé le sénateur de l’opposition James Orengo, « un des contentieux (devant la Cour suprême), c’était des procès-verbaux falsifiés ou non réglementaires ». La Cour suprême elle-même s’était étonnée que de nombreux formulaires de résultats ne portent pas les marques de sécurité et numéros de série réglementaires. La démarche du parti au pouvoir a conduit l’opposition à claquer la porte des discussions en cours avec l’IEBC en vue d’aplanir les différends entre les deux camps et de préparer l’élection du 26 octobre. « Le fait que les règles du jeu soient modifiées en cours de route est révélateur de l’arrogance de la coalition Jubilee », a dénoncé M. Orengo.
L’opposition n’est pas le seul à contester les tentatives du parti au pouvoir. Des responsables religieux se sont exprimés publiquement pour condamner la démarche du parti au pouvoir. « C’est une voie inacceptable car elle conduira à la mutilation de la Constitution et à l’affaiblissement de nos institutions », a ainsi déclaré le chef de l’Eglise anglicane au Kenya, l’archevêque Jackson Ole Sapit.
De son côté, le président de la Commission électorale Wafula Chebukati a précisé que la commission continuait ses préparatifs. « Nous n’avons pas besoin d’une nouvelle loi », a-t-il ajouté, espérant que cette dernière, si elle était adoptée, n’aurait pas d’impact sur les préparatifs en cours. Par ailleurs, cette nouvelle dispute est une étape de plus dans le dialogue de sourds et la surenchère rhétorique entre parti au pouvoir et opposition, ce qui suscite l’inquiétude d’un déclenchement de crise à quelques semaines du scrutin, surtout avec la menace de l’opposition de boycotter le scrutin si plusieurs de ses conditions ne sont pas remplies.
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