Le kenya, considéré comme le pays où la démocratie est la mieux enracinée en Afrique de l’Est, est le théâtre, depuis vendredi 11 août, de violentes confrontations entre des manifestants rejetant les résultats du scrutin du mardi 8 août et les forces de l’ordre dans plusieurs fiefs du candidat défait à la présidentielle, Raila Odinga. Et la tension risque de perdurer. Le leader de l’opposition kényane a promis, dimanche 12 août, qu’il ne renoncerait pas à contester la réélection du président sortant, Uhuru Kenyatta. « Nous n’avons pas encore perdu. Nous n’abandonnerons pas », s’est-il adressé à des milliers de supporters enthousiastes dans les bidonvilles de Kibera et Mathare, tout en dénonçant une nouvelle fois une élection « volée ». A 72 ans, M. Odinga livre probablement sa dernière grande bataille après ses trois précédents échecs à la présidentielle (1997, 2007, 2013).
En fait, la colère des partisans de l’opposition a éclaté dès l’annonce, vendredi denier, de la victoire de M. Kenyatta avec 54,27 % des voix contre 44,74 % à M. Odinga, au terme d’un scrutin pourtant annoncé serré par les instituts de sondage. Les affrontements entre manifestants et forces d’ordre ont causé la mort d’au moins 16 personnes, entre vendredi soir et samedi soir — neuf dans les bidonvilles de Nairobi, dont une fille de 9 ans, et sept dans l’ouest du pays — selon un bilan établi par l’AFP de sources policières et hospitalières. La coalition d’opposition Nasa affirme que le score de M. Kenyatta est le fruit d’une manipulation du système électronique de transmission et de décompte des voix utilisées par la commission électorale, et censé précisément prévenir les irrégularités. « Maintenant, nous sommes prêts, quoi qu’il arrive. Nous sommes prêts à mourir », a admis Duncan Nyamoun, des figures de l’opposition.
Pourtant, les missions d’observation internationales ont globalement salué la bonne tenue des élections. Et le groupe d’observateurs indépendants kényans ELOG, qui avait déployé 8 300 personnes sur le terrain, a publié des conclusions « cohérentes » avec les résultats officialisés par la commission. La répression menée par les forces de sécurité a été implacable, même si le ministre de l’Intérieur, Fred Matiangi, a certifié que la police n’avait pas fait un « usage disproportionné de la force contre un quelconque manifestant ou que ce soit dans le pays ». Imputant ces incidents à des « éléments criminels qui ont tenté de prendre avantage de la situation, en pillant et détruisant des propriétés », Matiangi a assuré que « la sécurité prévaut complètement dans le reste du pays ». La situation reste beaucoup plus maîtrisable qu’il y a dix ans. Plus de 1 100 personnes avaient été tuées et 600 000 déplacées en deux mois de violences postélectorales, après la réélection, fin décembre 2007, de Mwai Kibaki, déjà contestée par M. Odinga. Ces violences étaient les pires enregistrées dans le pays depuis son indépendance du Royaume-Uni en 1963. Mais le contexte des élections du mardi 8 août diffère de celui qu’il y a dix ans. Même si elles remettent en lumière de vieilles rancoeurs entre communautés, les violences sont pour l’instant limitées aux bastions de l’opposition et seule l’ethnie Luo semble par ailleurs se mobiliser. Les autres composantes de Nasa, les Kamba et Luhya notamment, restent pour l’heure à l’écart des violences et leurs leaders, numéros 2 et 3 de la coalition, n’étaient pas présents à Kibera dimanche.
Cela dit, la crainte d’une escalade est bien là. Ce qui a poussé la communauté internationale à faire des pressions sur Odinga. L’Onu, l’Union européenne et Londres l’ont appelé à canaliser la colère de ses partisans et à faire valoir ses récriminations devant la justice. Une option qu’il a pour le moment écartée. Au pouvoir depuis 2013, M. Kenyatta, a, de son côté, tendu la main à Raila Odinga, dans une adresse à la Nation, vendredi soir. « Nous devons travailler ensemble (...) nous devons ensemble faire grandir ce pays », avait-il lancé, appelant l’opposition à ne pas « recourir à la violence ». Un appel qui ne risque pas d’être pris en considération.
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