Alors que la République Démocratique du Congo (RDC) est en train de redessiner sa future ligne politique intérieure et extérieure, l’opposant congolais, Etienne Tshisekedi, figure historique de l’opposition, est décédé la semaine dernière à Bruxelles, à l’âge de 84 ans. Figure emblématique de la vie politique en RDC, Tshisekedi, président de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), jouait un rôle-clé dans les négociations politiques en cours, visant à faire sortir pacifiquement le pays de la crise provoquée par le maintien au pouvoir du président Joseph Kabila. Le mandat de ce dernier a officiellement pris fin le 20 décembre 2016, mais le chef de l’Etat a décidé de rester à son poste demandant la tenue d’une élection permettant de désigner son successeur. La Constitution lui interdit de se représenter, mais un arrêt controversé de la Cour constitutionnelle l’a autorisé à se maintenir en place jusqu’à l’entrée en fonction d’un successeur élu. L’opposition et la majorité ont signé, le 31 décembre, un accord de cogestion du pays jusqu’à l’élection d’un successeur à M. Kabila, censée avoir lieu à la fin de l’année.
Mais la mise en oeuvre de cette élection piétine. Selon des spécialistes, le décès de Tshisekedi arrive au plus mauvais moment et ralentira encore plus un processus de transition politique qui peine à voir le jour. « Ce décès vient faciliter la remise en cause progressive de l’accord passé par la majorité présidentielle », estime l’économiste et politologue congolais Justin Kankwenda. « La majorité, qui avait attribué à Tshisekedi le statut de président du Conseil de suivi de la transition politique (CNSA), pourrait être tentée d’exiger un rééquilibrage qui remettrait en cause l’ensemble de l’accord », déclare cet ancien haut-fonctionnaire onusien, dans un entretien à l’AFP.
Une figure emblématique
Tshisekedi, officiellement opposé à une réélection de Kabila, a commencé sa carrière d’opposant en 1980 en s’attaquant au régime du dictateur Mobutu Sese Seko, dont il avait été l’un des piliers fondateurs jusqu’à ce que le parti change de ligne politique. Il a ensuite été le chef de file de l’opposition qui s’est confrontée au chef rebelle Laurent-Désiré Kabila, surnommé le « Léopard », arrivé au pouvoir par les armes en 1997, puis à son fils Joseph, qui lui succédera après son assassinat en 2001. Lors de la présidentielle de 2011, Tshisekedi avait obtenu 64 % des voix face au président Kabila, vainqueur d’une élection marquée par des fraudes massives.
Le leader emblématique de l’opposition congolaise est mort à Bruxelles mercredi 1er février, au moment où la coalition du « Rassemblement » de l’opposition créée en juin dernier autour de la figure de Tshisekedi négociait les modalités d’application de l’accord de la Saint-Sylvestre, qui comprend en premier lieu l’attribution des postes ministériels. Conclu sous les auspices de l’Eglise catholique, l’accord de décembre ouvre la voie à une cogestion du pays entre le pouvoir et l’opposition jusqu’à la tenue d’une présidentielle censée se tenir fin 2017.
Pour l’heure, toutes les familles politiques congolaises semblent respecter une sorte de trêve en mémoire de Tshisekedi, qualifié, même du côté du pouvoir de « père de la démocratie congolaise », pour son rôle lors de l’ouverture démocratique au début des années 1990. Mais passées les funérailles, dont la date n’a toujours pas été annoncée, la politique ne tardera pas à reprendre ses droits. Jusqu’à présent, les discussions portent surtout sur le « partage du gâteau », selon l’expression congolaise consacrée, c’est-à-dire la distribution des portefeuilles attribués aux campagnes électorales. La population, elle, largement miséreuse, ne fait qu’observer ses piètres conditions de vie se détériorer et la grogne commence à se faire entendre. La dépréciation du franc congolais engendre une forte inflation dont les résultats commencent à faire des ravages. Un ressentiment commence à s’installer face à tout ce qui ressemble à un corps constitué : pouvoir, opposition et même Eglise catholique, pourtant auréolée pour sa lutte passée contre la dictature mobutiste.
Un avenir incertain
Etienne Tshisekedi, absent, plusieurs questions restent sans réponse, notamment le futur de son parti fondé en 1982. Que fera son fils, Félix, qui se serait bien vu prendre la tête du nouveau gouvernement de transition ? Autant de questions qui restent en suspens et qui annoncent d’ores et déjà un chamboulement politique au sein de l’UDPS qui risque de s’éclater entre les différentes tendances, mais également au sein du parti du Rassemblement. Dans son article publié cette semaine sur le site Afrikarabia, le journaliste et écrivain, Christophe Rigaud, note que l’avenir de l’UDPS se trouve entre les mains de Félix Tshisekedi et du tout jeune, mais très efficace, Jean-Marc Kabund, le nouveau secrétaire général du parti. C’est à eux qu’incombe la lourde tâche de réussir à réunir les différents micro-partis proches de l’UDPS pour éviter l’implosion de cette plateforme d’opposition créée autour d’Etienne Tshisekedi, de Moïse Katumbi et du G7. Félix Tshisekedi devra également choisir entre occuper la place de président du Conseil de suivi, le poste de premier ministre ou la présidence de l’UDPS. Un choix cornélien dont dépendra certainement l’avenir de ce pays de 71 millions d’habitants, déjà ravagé par deux guerres entre 1996 et 2003.
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