Le président sortant, Yahya Jammeh, qui ne veut plus reconnaître sa défaite, demande de convoquer un nouveau scrutin.
(Photo : Reuters)
Les Gambiens, tout comme la communauté internationale, se sont réjouis trop vite. Il y a une semaine à peine, le monde se félicitait de la façon exemplaire dont s’était tenue l’élection présidentielle du 1er décembre en Gambie : pas de violence, pas d’accusations de fraude et, surtout, un chef d’Etat sortant, Yahya Jammeh, qui reconnaît sa défaite. Mais à peine quelques jours après l’annonce des résultats, Yahya Jammeh a soulevé la surprise générale en revenant sur sa position. «
Tout comme j’ai loyalement accepté les résultats, en croyant que la Commission électorale était indépendante, honnête et fiable, je les rejette dans leur totalité », a affirmé Jammeh au cours d’une déclaration télévisée vendredi soir. Dans une intervention un peu décousue, le président sortant a dénoncé des «
erreurs inacceptables » de la part des autorités électorales, pointant des imprécisions dans les résultats révisés, et a fait état d’«
enquêtes » sur l’abstention révélant, selon lui, que de nombreux électeurs n’ont pas pu voter ou en ont été dissuadés par des informations erronées. C’est pourtant le même homme qui félicitait chaleureusement son adversaire, Adama Barrow, dans un appel téléphonique télévisé, pour sa victoire au scrutin du 1er décembre, excluant toute contestation, même s’il n’avait été devancé «
que d’une voix ». Il évoquait alors en plaisantant une possible reconversion dans l’agriculture à Kanilai, son village natal (ouest), un retour aux sources pour ce fils d’une famille paysanne, d’ethnie diola — présente en Gambie et au Sénégal.
Mais il semble que les attraits de la présidence sont trop forts pour qu’il puisse s’en passer. La volte-face de Jammeh a pris de court le président élu, Adama Barrow, qui lui a demandé d’accepter sa défaite à l’élection présidentielle du 1er décembre, rejetant sa demande de nouveau vote. « Je l’exhorte à changer de position et à accepter de bonne foi le verdict du peuple », a déclaré Barrow à la presse, à l’issue d’une réunion de l’opposition. Il a souligné que le président n’avait pas le pouvoir constitutionnel de convoquer un nouveau scrutin. « J’appelle tous les Gambiens à vaquer à leurs affaires », a-t-il ajouté, invitant ses partisans à « la discipline et à la maturité ». Une dirigeante de l’opposition, Isatou Touray, a dénoncé sur les réseaux sociaux « un viol de la démocratie », appelant les opposants à « rester calmes, lucides, vigilants, et à ne pas reculer ».
Condamnation internationale
La question est donc maintenant de savoir quelles seront les conséquences de ce revirement. Dès samedi, des forces de sécurité gambienne se sont déployées en masse dans la capitale. Policiers et militaires tenaient des barrages à travers toute la capitale de ce petit pays d’Afrique de l’Ouest pour contrer toute violence. La crainte d’une montée de la tension inquiète aussi la communauté internationale, qui a condamnée l’affaire. L’Union Africaine (UA), la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et le représentant de l’Onu en Afrique de l’Ouest ont appelé le gouvernement à « respecter le verdict des urnes et garantir la sécurité du président élu, Adama Barrow, et de tous les citoyens gambiens ». Le Sénégal et les Etats-Unis ont très rapidement condamné le revirement de Jammeh, exigeant qu’il conduise une « transition pacifique » avec Barrow et assure sa sécurité.
De même, la Gambie a empêché une mission régionale conduite par la présidente libérienne, Ellen Johnson Sirleaf, d’accéder à son territoire après que le président Yahya Jammeh est revenu sur la reconnaissance de sa défaite électorale, a affirmé samedi le ministre sénégalais des Affaires étrangères, Mankeur Ndiaye. Et, preuve des tensions, les communications téléphoniques internationales avec la Gambie étaient quasiment impossibles samedi, selon un envoyé spécial de la radio privée sénégalaise, RFM, intervenant en direct pendant le journal de la mi-journée.
Yahya Jammeh a gouverné pendant 22 ans sans partage. Porté à la tête de l’Etat par un putsch sans effusion de sang en 1994 dans cette ex-colonie britannique enclavée dans le Sénégal à l’exception de sa façade atlantique, Jammeh, lieutenant de 29 ans, a été élu une première fois en 1996 pour cinq ans, puis réélu trois fois. Il a longtemps pu compter sur la peur pour garder la majorité des Gambiens dans le rang : peur des pouvoirs mystiques dont il se dit doté, peur de la répression — parfois sanglante — de toute contestation, peur de sa mainmise sur les forces armées dont il est issu.
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