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Adama Ouane : L’économie est la priorité de la Francophonie

Hicham Mourad, Dimanche, 23 août 2015

Le nouvel administrateur de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), le Malien Adama Ouane, a pris ses fonctions le 1er avril dernier. Il parle des priorités de l’organisation après la nomination de Michaëlle Jean au poste de secrétaire générale, fin novembre 2014.

Adama Ouane
(Photo:Hicham Mourad)

Al-ahram hebdo : Comment évaluez-vous le deuxième Forum mondial de la langue française, qui s’est tenu du 20 au 23 juillet, à Liège en Belgique, et dont l’objectif était de promouvoir le rôle des jeunes au sein de la Francophonie ?
Adama Ouane : Ce forum était dédié aux jeunes, qui représentent le présent et l’avenir. Ils ont montré qu’ils ont des solutions, des moyens, de la créativité et beaucoup d’audace. Ils ont surtout cette assurance qu’ils peuvent changer le cours des événements. On l’a vu dans les solutions proposées, dans les divers ateliers organisés, par les jeunes dans des domaines aussi divers que la santé, l’éducation ou la politique.

Tout cela s’est produit au travers un français vivant, qui est une langue d’innovation et de modernité, dont les possibilités sont décuplées par l’usage du numérique. Cette langue est également diverse et variée avec le français africain et ses multiples dialectes.

Le forum a eu le mérite d’éliminer les clichés selon lesquels le français est seulement une langue de littérature et de romantisme. Il a prouvé que le français est une langue de la vie. Cette vie est dynamique et changeante, et la langue l’accompagne. Notre devoir est de la faire partager.

— Comment voyez-vous l’invasion de l’anglais et le recul du français au niveau mondial, y compris dans les pays francophones ?
— La menace est plus interne qu’externe. Ce n’est pas l’anglais qui menace le français, mais ce sont plutôt les francophones qui abdiquent parfois, en se mettant à parler anglais, parce que cela leur semble faire moderne, par pragmatisme ou par volonté d’efficacité, en faisant l’économie des coûts de la traduction. La langue elle-même a suffisamment de ressort pour sa propre promotion et son essor, mais c’est le comportement des francophones qui pose parfois problème. Et là j’insiste sur le fait qu’il faut faire de la résistance.

— Que doit faire l’OIF dans ce domaine ?
— Nous devons faire un effort considérable dans l’enseignement du français. La Francophonie doit s’investir davantage dans les méthodes d’enseignement et l’accompagnement des initiatives des institutions qui travaillent sur l’enseignement du français comme langue seconde (après les langues locales), dans des contextes où il est considéré comme langue première (comme dans les pays africains francophones). Il faut opérer un changement de paradigme pour reconnaître par exemple qu’au Sénégal, au Mali ou au Bénin, malgré l’existence de nombreux locuteurs, le français reste une langue seconde. Il faut donc introduire un changement dans la méthodologie d’enseignement.

Nous disons aussi que la Francophonie n’est pas seulement la France ou l’Afrique. C’est vrai que celles-ci constituent des bastions traditionnels, mais il existe aussi des territoires nouveaux vers lesquels nous devons aller. Toute cette Francophonie, prise dans sa globalité, doit pouvoir bénéficier de l’essor de la langue. Quand nous parlons du projet de créer à Dakar un institut de la Francophonie pour l’éducation et la formation, nous pensons à un institut de la Francophonie et de la grande Francophonie. Cela veut dire qu’il doit prendre en considération la diversité de la langue française dans les cinq continents, et non seulement ses composantes africaine et du Nord.

— Après le changement à la tête de l’OIF, quelles sont les priorités de votre action au sein de l’organisation ?
— Il y a une nouvelle équipe qui s’installe à l’OIF, mais il y a une continuité avec le travail déjà fait. Et comme vous le savez, une feuille de route a été adoptée lors du dernier sommet des chefs d’Etat de la Francophonie, tenu à Dakar au Sénégal, fin novembre 2014, qui définit notre stratégie. Celle-ci est au coeur de notre action, qui se donne l’économie comme première priorité. Le Forum mondial de la langue française avait pour but de montrer que le français n’est pas seulement une langue littéraire ou de la diplomatie, mais aussi une langue de créativité, d’innovation, de développement économique et du numérique.

La Francophonie devrait avoir une composante économique. Il s’agit de proposer des solutions aux problèmes et défis contemporains et de les essaimer dans l’espace francophone, ainsi que d’exploiter le potentiel économique de la zone francophone, de façon à renforcer la solidarité entre les pays membres.

La deuxième priorité est l’égalité entre hommes et femmes. C’est un problème qui traverse toutes les sociétés et face auquel la Francophonie doit être en pointe. Il y a en troisième lieu la stratégie en faveur de la jeunesse. Celle-ci est un espoir mais aussi un risque. Un risque de la voir se radicaliser et exploitée par ceux qui cherchent à profiter de la marginalisation des jeunes pour les entraîner dans les voies du radicalisme et du terrorisme. A ces jeunes, il faut donner l’espoir, leur expliquer que leur présent n’est pas perdu. Il faut leur montrer qu’ils sont des acteurs majeurs du développement économique par la création d’emplois, l’entreprenariat, le numérique et l’économie verte ...

Il ne faut pas oublier bien entendu la stratégie de promotion de la langue française, qui était adoptée lors du sommet de la Francophonie à Kinshasa, en République démocratique du Congo, en octobre 2012.

En résumé, la feuille de route de Dakar montre le chemin de la Francophonie : il faut aller vers des solutions. C’est aussi une Francophonie qui doit être présente sur tous les fronts, notamment la lutte contre le terrorisme à travers l’éducation, la santé et le devoir de solidarité envers les pays membres et à l’intérieur de notre espace francophone.

— Qu’en est-il du rôle politique de la Francophonie ?
— Nous devons bien entendu souligner les valeurs que nous partageons : les droits de l’homme, la justice, la liberté ... Ce sont des fondamentaux et l’essence de notre organisation. Nous avons à ce sujet des programmes qui fonctionnent au niveau des élections, tant au plan de la préparation des échéances électorales qu’à celui de la médiation. La Francophonie dispose également d’outils et de compétences techniques que l’on ne trouve nulle part, en ce qui concerne les fichiers électoraux, la préparation et le nettoyage des bases de données .

Universitaire et homme politique
De nationalité malienne, Adama Ouane est un ancien fonctionnaire de l’Unesco. Il est titulaire d’un doctorat d’Etat en sciences linguistiques appliquées. Professeur d’université, il a été consultant auprès des organismes internationaux, tels l’Unicef, le Pnud, l’OIF et la Banque mondiale, sur les questions d’alphabétisation, d’éducation non formelle et d’utilisation des langues nationales. Adama Ouane a également été ministre de l’Education, de l’Alphabétisation et de la Promotion des langues nationales au Mali dans les gouvernements successifs de Cheick Modibo Diarra en 2012.

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