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Le Rwanda au seuil d’une nouvelle crise politique

Sabah Sabet avec agences, Lundi, 08 juin 2015

Les tentatives de mener une réforme constitutionnelle permettant au président rwandais de se représenter une troisième fois en 2017 risque d'embraser le pays.

Un troisième mandat présidentiel : cette question, qui a enflammé la situation au Burundi depuis plus d’un mois, est en passe de provoquer une crise semblable au Rwanda voisin. Le parlement rwandais doit débattre entre le 5 juin et le 4 août d’une éventuelle réforme de la Constitution pouvant permettre au président Paul Kagame de se représenter une troisième fois en 2017. Selon des responsables rwandais, cette réforme est une réponse à une « demande populaire ». Fin mai, le parlement a dit avoir reçu plus de 2 millions de demandes de Rwandais qui réclament une révision de la Constitution pour permettre au président de se présenter à nouveau. Selon la presse rwandaise, ce nombre représente 17 % de la population. « Ces demandes de révision de l’article 101 de la Constitution sur la limitation du nombre de mandats présidentiels affluent depuis des mois, et ce de manière spontanée et non forcée », a annoncé la semaine dernière, Donatille Mukabalisa, présidente de la Chambre des députés. En fait, la Constitution rwandaise, adoptée en 2003, limite le nombre de mandats à deux, et c’est ainsi que c’est interdit à Paul Kagame de se présenter une troisième fois.

En revanche, cette tentative est totalement refusée par l’opposition. Le parti Vert démocratique du Rwanda (DGPR) a déposé une requête auprès de la Cour suprême. Le seul parti d’opposition légalement enregistré dans le pays demande à la plus haute instance judiciaire du pays d’empêcher de tenter de modifier la Constitution permettant à Paul Kagame de briguer un troisième mandat. Frank Habineza, leader du parti Vert démocratique, explique qu’il y a un problème à la fois juridique et moral à envisager cette modification. « Nous croyons que l’article 193 sur la réforme de la Constitution par référendum ne s’applique pas à la limite du nombre de mandats. Il fait uniquement référence au mandat — au singulier — du président, à sa durée qui est de sept et qui pourrait être réduite par exemple à cinq ans ou augmentée à huit ans. Pour nous, c’est ce que l’article 193 signifie », a-t-il affirmé. Habineza pointe aussi un autre article qui évoque le nombre de mandats. « L’article 101 précise bien qu’en aucun cas, le président de la République ne peut faire plus de deux mandats. C’est un article que l’on peut qualifier de verrouillé et qui ne peut être changé par aucun autre. Mais on pense également que cet article 101 ne devrait pas être modifié parce que le Rwanda mérite un transfert du pouvoir pacifique. Depuis l’époque de la monarchie, ce n’est jamais arrivé avec des assassinats, des coups d’Etat. Et même avant, cela fait quelque 200 ans que le Rwanda n’a pas connu ça et c’est l’une des raisons pour lesquelles on aimerait que la Constitution soit respectée ».

Pour l’heure, le chef de l’Etat qui n’a officiellement pas dit qu’il serait à nouveau candidat, mais qu’il laisserait le peuple en décider, a assuré sur Twitter que le Parti démocratique Vert était dans son droit en déposant une requête à la Cour suprême. « Ils exercent leur droit … le parti Vert, bonne chose ! », a écrit Kagame sur son compte Twitter, en réponse à la publication sur le réseau social d’un article rapportant la demande de la formation politique à la plus haute juridiction du pays.

Des voix s’élèvent aussi pour dénoncer une récolte de signatures sous la contrainte par un Etat qualifié de « policier ». Pour René Mugenzi, militant rwandais des droits de l’homme exilé en Grande-Bretagne, ce n’est qu’une « mise en scène » du parti au pouvoir. Selon lui, beaucoup de Rwandais sont contraints de signer ces pétitions au risque d’être mis au ban de la société. Parmi les rares voix dans le pays à oser critiquer, Bernard Ntaganda, un opposant qui vient de purger une peine de prison pour atteinte à la sûreté de l’Etat et divisionnisme, dénonce une absence de liberté d’expression et nie toute pertinence de ces pétitions.

Cette modification a aussi été critiquée par Washington. « Les Etats-Unis sont opposés à un éventuel troisième mandat du président rwandais Paul Kagame », a affirmé, vendredi dernier, un diplomate américain, conformément à la position traditionnelle de Washington sur une limite constitutionnelle à deux mandats. Il s’agit de la prise de position la plus ferme de la diplomatie américaine à l’égard de l’allié rwandais, même si les relations se sont dégradées depuis 2012, et qui survient dans un contexte régional de très vives polémiques sur la durée du pouvoir de chefs d’Etat africains.

En attendant, les analystes estiment que le Rwanda, ce pays souvent critiqué par la communauté internationale pour son espace politique restreint et son manque de liberté d’expression, est au seuil d’une nouvelle crise politique.

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