Les observateurs trouvent que l'échec du coup d'Etat ne signifie pas la fin de la crise à Burundi.
(Photo:Reuters)
Sorti victorieux et plus puissant de la tentative de putsch qui l’a visé mercredi dernier, le président burundais Pierre Nkurunziza s’apprête à répondre par davantage de force à ses opposants. Après deux jours d’incertitude sur l’issue du coup d’Etat, la situation s’était finalement éclaircie samedi dernier, avec l’arrestation de 17 inculpés dans cette affaire et la reddition d’au moins 3 des meneurs, dont leur porte-parole Zénon Ndabaneze, leur numéro deux Cyrille Ndayirukiye, et la fuite d’autres. Un échec au goût amer pour les putschistes, une victoire savourée par le président Nkurunziza, qui n’a d’ailleurs pas tardé à sommer les militants d’opposition à cesser les manifestations et toute contestation contre sa candidature à un troisième mandat. Or, ses opposants jugent toujours sa candidature à la présidentielle du 26 juin inconstitutionnelle et contraire aux accords d’Arusha, qui avaient ouvert la voie à la fin d’une longue guerre civile (1993-2006) opposant une armée alors dominée par la minorité tutsi à des mouvements rebelles hutu. Et certains analystes craignent que la crise actuelle ne se transforme en lutte entre les Hutu et les Tutsi.
Outre les arrestations de putschistes, les représailles du régime ont aussi touché les médias. Accusés de soutenir « l’insurrection » — comme les autorités burundaises qualifient la RPA, Radio-Télé Renaissance, Bonesha-FM (« qui éclaire » en kirundi) et Isanganiro (« Point de rencontre ») — les médias ont été violemment attaqués, leur matériel détruit, endommagé ou volé. Comme les autres, Bonesha avait diffusé le message des putschistes. Y compris la RPA (la voix des sans-voix), station la plus écoutée du pays, qui avait recommencé à émettre, après avoir été fermée par les autorités au 2e jour des manifestations. Isanganiro explique sur son site Internet qu’elle « n’émet plus depuis jeudi 14 mai 2015 » : « On a tiré sur les écrans des machines de montage, les câbles pour abîmer les installations, l’ordinateur utilisé pour émettre, les véhicules ».
Au propre comme au figuré, la jeune et dynamique presse indépendante burundaise, essentiellement constituée de ces radios, est aujourd’hui un champ de ruines. « On sent une telle haine derrière ces attaques, une volonté de casser, d’anéantir la liberté de parole et d’expression au Burundi », explique Innocent Muhozi, directeur de la Radio-Télévision Renaissance, il est très clair que le Burundi ressemble maintenant à ce qu’il était à l’époque du parti unique, en 1992, lorsqu’il n’y avait que la seule RTNV (Radio-Télévision nationale du Burundi) à émettre. « Aujourd’hui on en est exactement là », ajoute-t-il.
Une répression qui ne risque pas d’arranger les choses. En effet, l’échec de la tentative de coup d’Etat ne signifie pas la fin de la crise. Au contraire. Les observateurs craignent que le pays ne glisse dans un cercle vicieux de représailles contre quiconque pourrait y être lié, que ce soit dans les rangs de l’armée, de la police, des organisateurs des manifestations ou même des journalistes travaillant pour les médias indépendants. « La façon dont tout cela sera résolu dans les jours et les semaines qui viennent déterminera l’avenir du pays pour longtemps », présage à RFI Yolande Bouka, de l’Institut d’études de la sécurité (ISS). « Des semaines de contestation et deux jours de violents combats dans la capitale Bujumbura ont mis à mal la stabilité du pays », relève l’ISS. Bouka pense que même si des éléments pro-gouvernementaux de l’armée ont repris le contrôle, l’unité des forces armées burundaises a été ébranlée. « La population elle aussi est profondément divisée sur le fait que le président doive ou non candidater à un troisième mandat ».
Autre problème : La question humanitaire. Pour Sarah Jackson d’Amnesty International, le pays est « au bord d’une crise des droits de l’homme avec potentiellement des conséquences irréversibles pour la région ». Selon les Nations-Unies, au moins 100 000 Burundais ont fui le pays, terrorisés par le climat pré-électoral.
Bien que le putsch ait été condamné par la communauté internationale, les Etats de la région et du monde entier ont aussi exprimé leurs critiques vis-à-vis de l’appétit de pouvoir de Nkurunziza. Confiant d’être sur une bonne lancée, le président reste sourd aux appels à reporter les élections au vu du climat qui règne dans le pays. L’analyste Thierry Vircoulon du centre de réflexion International Crisis Group (ICG) assure que le président souhaite organiser les élections aussi tôt que possible, mais cela contribuerait uniquement à empirer la situation. « Le président Nkurunziza devrait reconnaître que le pays est en crise et que l’unité doit être restaurée », explique-t-il, en ajoutant que la tenue d’élections véritablement libres et équitables est désormais impossible. « Le pays devrait rester isolé tant que son président refusera tout compromis », conclut-il .
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