148 personnes ont été massacrées lors de l'attaque de l'université de Garissa.
(Photo : AP)
Les shebab, ce groupe rebelle somalien qui a plongé la Somalie dans le sang et le chaos pendant des années, a de nouveau pris le Kenya pour cible de ses attaques, mais d’une manière plus meurtrière :
« Si Dieu le permet, rien ne nous arrêtera dans notre vengeance des morts de nos frères musulmans, jusqu’à ce que votre gouvernement cesse son oppression et jusqu’à ce que toutes les terres musulmanes soient libérées de l’occupation kényane ». Une menace directe lancée par les Shebab dans un communiqué publié samedi, en anglais, où ils parlent d’une
« longue, épouvantable guerre » et d’un «
nouveau bain de sang ». Cette annonce est intervenue deux jours après le massacre de 148 personnes dans une attaque visant l’université de Garissa, située dans l’est kényan, à quelque 150 km de la frontière somalienne.
Les Shebab reviennent sur ce qu’ils qualifient « d’atrocités sans nom » perpétrées par les autorités kényanes contre les musulmans : dans le sud de la Somalie, depuis le début de l’intervention militaire contre les Shebab fin 2011, mais aussi, depuis des décennies, dans les régions frontalières de la Somalie, largement peuplées de Kényans d’ethnie somalienne ou de Somaliens. Les assaillants à Garissa ont voulu « venger les morts de dizaines de milliers de musulmans tués par les forces de sécurité kényanes », disent-ils. Vendredi dernier, Nairobi a promis de ne pas se laisser « intimider » par les islamistes. Mais les Shebab menacent de viser à nouveau des « écoles, des universités, des lieux de travail et même vos maisons », pour punir les Kényans d’avoir élu le gouvernement actuel.
Selon des experts, avec le massacre de Garissa, les Shebab ont réussi à frapper d’un grand coup, malgré les revers subis chez eux, en visant une cible facile de l’autre côté d’une frontière poreuse, et dans un pays affaibli par la corruption. Outre le spectaculaire assaut contre le centre commercial de Nairobi Westgate (67 morts) en septembre 2013, les islamistes, que le Kenya combat en Somalie au sein d’une force de l’Union africaine (Amisom), ont revendiqué une série d’attaques, notamment le long des 700 km de frontières qui séparent le Kenya de la Somalie. Ces attaques, dont chacune a porté un coup au tourisme, traumatisent la population et humilient la police et l’armée. Mais aucune, depuis le Westgate, n’a sans doute eu la capacité de marquer autant les esprits à l’étranger que celle de Garissa. « Là, on est devant un attentat qui va susciter l’attention publique, du moins au niveau de l’Afrique de l’Est », souligne à l’AFP Hervé Maupeu, maître de conférences à l’Université française de Pau (sud-ouest).
A chaque attaque contre le Kenya, les Shebab, affaiblis à domicile sur le plan militaire, disent sanctionner la présence militaire kényane en Somalie. Ils menacent aussi les autres pays contributeurs de l’Amisom, mais y passent rarement à l’acte. Les Shebab essaient « de survivre en s’attaquant au seul pays de la zone où c’est facile », poursuit Maupeu. Ils hésitent « à frapper l’Ethiopie (à l’armée puissante et disciplinée), l’Ouganda est trop loin, le Burundi aussi ». Et Garissa, important centre commercial entre la Somalie et le Kenya, est une cible, d’autant plus « facile » qu’elle est proche de la Somalie et abrite les « relais nécessaires ».
La corruption, endémique au Kenya, n’aide pas, entravant encore plus le travail de forces de l’ordre régulièrement pointées du doigt pour leur incompétence. « Il ne faut pas mésestimer le fait qu’au Kenya la corruption est extrêmement importante », estime, à l’AFP, Roland Marchal, chercheur spécialiste de la Somalie. « C’est très difficile de contrôler une frontière comme celle-là (...), la corruption n’aide pas ». Le problème de la corruption est tel qu’en juillet, la justice kényane, estimant le processus entaché d’irrégularités, a bloqué le recrutement de quelque 10 000 policiers, pourtant jugés essentiels au combat contre les terroristes par le président Uhuru Kenyatta.
Des journaux kényans ont aussi déploré qu’une nouvelle fois, des avertissements des services de renseignements aient été ignorés, comme lors de l’attaque du Westgate. Face à la menace islamiste, le Kenya est aussi d’autant plus vulnérable qu’il a laissé les islamistes radicaux infiltrer la société, notamment sur la côte majoritairement musulmane et le long de la frontière, et qu’à chaque attaque, il joue le jeu des Shebab, en stigmatisant les musulmans, déplorent les analystes.
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