Sans surprise , Téhéran et les Six ont décidé lundi dernier de prolonger leurs négociations jusqu’au 1er juillet 2015, après avoir échoué à conclure un accord final sur le nucléaire avant la date butoir du 24 novembre. Toute une semaine de tractations frénétiques, à Vienne, n’a pas réussi à réduire les écarts de position sur les deux principaux casse-têtes entre les deux parties : le rythme de la levée des sanctions et les capacités d’enrichissement d’uranium que conserverait l’Iran après un accord sur son programme nucléaire. « Les grandes puissances et l’Iran envisagent de négocier un accord politique d’ici au 1er mars 2015, puis les annexes d’un règlement complet d’ici au 1er juillet 2015 », a affirmé un diplomate occidental.
Les négociations de Vienne avaient pour base un accord intérimaire conclu à Genève en novembre 2013, qui prévoit le gel d’une partie des activités nucléaires de l’Iran contre une levée partielle des sanctions internationales. Or, les deux camps n’ont pas réussi à aplanir leurs « grosses divergences, voire leurs graves divergences », selon le chef de la diplomatie américaine, John Kerry, reprenant les termes de ses homologues britannique, français et allemand mais aussi de la Maison Blanche.
A Vienne, la négociation a pris l’allure d’un face-à-face entre l’Iran et les Etats-Unis avec sept rencontres « stériles », entre les chefs de la diplomatie américaine et iranienne, John Kerry et Mohamad Javad Zarif, sous l’égide de la négociatrice européenne Catherine Ashton. Selon le camp occidental, l’Iran, soucieux d’obtenir un accord réaffirmant haut et fort son droit au nucléaire civil, a fait monter les enchères à Vienne, affirmant qu’il n’était pas disposé aux concessions demandées et brandissant parfois l’arme des menaces. « Prolonger les négociations semble le moindre mal, selon une source iranienne, expliquant que le pire serait un climat de confrontation avec une escalade de part et d’autre. Par exemple, qu’on réponde à de nouvelles sanctions par un développement du programme nucléaire ».
N’ayant aucune disposition à céder d’un iota sur leurs droits nucléaires, les négociateurs iraniens ont refusé de réduire le stock d’uranium enrichi et souhaité multiplier par 20 les capacités d’enrichissement de ce stock. Bien plus, ils ont refusé de modifier davantage le coeur du réacteur nucléaire à eau lourde d’Arak qui inquiète la communauté internationale. Washington a tant demandé à Téhéran de transformer Arak en réacteur à eau légère, ce que Téhéran a refusé en affirmant qu’il n’avait qu’un but de recherche. Soufflant le chaud et le froid pour ne pas fermer la porte à la diplomatie, les responsables iraniens ont assuré que le réacteur d’Arak, placé sous la surveillance de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), serait modifié pour limiter la production de plutonium à un kilo par an, contre huit initialement prévus. L’Iran s’est aussi dit prêt à laisser l’AIEA accéder à la base de Marivan, un site suspecté d’avoir abrité des essais d’explosifs. Fustigeant cette ambiguïté iranienne, le président américain Barack Obama a accentué la pression sur l’Iran, affirmant avoir toute la communauté internationale à son côté : « Téhéran serait de plus en plus isolé sur la scène internationale », a menacé Obama.
Un défi pour Obama ...
Selon les experts, la prolongation de cette fois-ci n’est pas comme les précédentes : elle semble lourde de périls politiques pour le président modéré iranien, Hassan Rohani, et pour son homologue américain, Barack Obama, tous deux faisant le jeu des durs de leurs régimes qui veulent saboter l’accord.
Côté américain, le défi semble majeur pour M. Obama qui aspire à parfaire son mandat après ses échecs en Iraq et en Afghanistan, en concluant un accord « historique » avec Téhéran. Un rêve que le président américain aurait de la peine à réaliser, non seulement à cause d’un régime iranien têtu et ambigu, mais plutôt à cause de la réticence des Républicains du Sénat américain qui vont contrôler la majorité du Sénat dès janvier prochain, en plus de celle de la Chambre des représentants, jusqu’au départ d’Obama en janvier 2017. Sceptiques, ces élus américains sont favorables à un nouveau train de sanctions contre Téhéran et ont déjà appelé M. Obama à soumettre tout texte à l’approbation des parlementaires, entravant ainsi la marge de manoeuvre du président démocrate. Jusqu’à présent, le numéro un américain avait les mains libres pour négocier avec l’Iran, sans intervention du Congrès, mais de très nombreux élus des deux parties doutent de la sincérité des Iraniens et craignent que le président américain ne cherche, coûte que coûte, à signer un accord qui redore son image sur la scène internationale. « Nous renforcerons la pression sur l’Iran dans les prochains mois, à moins que Téhéran n'abandonne ses ambitions nucléaires », ont mis en garde les sénateurs américains.
... Un autre pour Rohani
Côté iranien, la pression est toujours de mise. Ce semi-échec fragiliserait le président iranien modéré, Hassan Rohani, qui joue une grande partie de sa crédibilité sur le succès de ses négociations avec les grandes puissances. Faisant pression sur les négociateurs iraniens, des manifestations se sont déclenchées, dimanche, devant le réacteur de recherche nucléaire de Téhéran pour réaffirmer le droit « absolu » de l’Iran à l’énergie nucléaire : « L’énergie nucléaire est notre droit absolu », « Pas d’arrêt sur la voie du progrès », pouvait-on lire sur les banderoles.
Selon l’expert Mohamad Abbas, les « durs » du régime iranien, en tête le guide suprême Ali Khamenei, ne vont jamais céder d’un iota sur leurs droits nucléaires. « Ce que le régime des mollahs cherche à faire, depuis des ans, est de gagner du temps en prolongeant les discussions afin d’achever son programme nucléaire et l’imposer au monde après avoir prouvé son caractère pacifique », explique Abbas. Pourtant, cette manoeuvre iranienne n’était pas sans prix : elle a coûté cher à une économie iranienne étranglée par un déluge de sanctions. Selon les experts économiques, la conclusion d’un accord avec les Six profiterait tant à Téhéran, car elle redonnerait du souffle à l’économie iranienne, en particulier grâce à la levée de l’embargo occidental sur le pétrole iranien, et rouvrirait la voie à une normalisation des relations entre l’Iran et l’Occident.
Toute une liste de gains que Téhéran est prêt à sacrifier à la faveur de son programme nucléaire.
« Pour Téhéran, le nucléaire est une affaire de dignité nationale, un moyen et non une fin en soi. Un moyen de se défendre et de se prouver en tant que puissance nucléaire, que nul n’oserait l’attaquer ou l’occuper. Le cas de l’Iraq et de l’Afghanistan, occupés par les Etats-Unis, inquiète fort les Iraniens », analyse Abbas.
Reste à se poser la question : cette prolongation des discussions sera-t-elle la dernière, ou ouvrira-t-elle la voie à des atermoiements à l’infini ? .
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