Sous tous les feux, Nawaz Charif risque fort son avenir politique.
(Photo : Reuters)
Il s’agit d’une semaine difficile pour le Pakistan, et surtout pour son premier ministre Nawaz Charif, qui a brigué le pouvoir— pour la troisième fois dans l’histoire du pays— lors des législatives de mai 2013. Toutes les vicissitudes du sort se sont alliées contre ce pays pour envenimer la célébration de son 67e anniversaire de l’indépendance. Alors que les pluies torrentielles viennent de faire plus de 16 morts au nord-ouest, le Pakistan semble entamer son propre «
printemps » politique, qui pourrait l’enliser dans l’anarchie, 15 mois à peine après la première transition démocratique de l’histoire de ce pays dirigé pendant 3 décennies par les militaires.
Sous le nom de « marche de la liberté » — en référence au jour de l’indépendance, des milliers de manifestants menés par l’opposition, en tête l’ancien gloire du cricket, Imran Khan, et le religieux Tahir ul-Qadri, se sont rassemblés cette semaine à Islamabad, pour exiger la démission du gouvernement et l’arrestation de Charif. Au coeur du différend entre l’opposition et le gouvernement: les législatives de mai 2013. Le Parti de la Justice (PTI) d’Imran Khan, qui était arrivé en 3e position lors de ce scrutin, ne cesse, depuis un an, de dénoncer des fraudes électorales massives, alors que le Mouvement du peuple du Pakistan (PAT) de Tahir ul-Qadri avait boycotté ces élections après avoir dirigé un vaste sit-in au coeur d’Islamabad. « Aucun pharaon ne vous donnera la liberté sur un plateau d’argent. C’est à vous de la saisir. La monarchie approche de sa fin », a lancé Imran Khan devant les manifestants, alors que des heurts entre partisans de l’opposition et du pouvoir ont émaillé la marche. Ce qui fait craindre que cette confrontation entre opposition et gouvernement ne vire en « bains de sang ». Fin juin, des affrontements entre la police et des partisans de M. Qadri avaient fait au moins une dizaine de morts.
Dans l’espoir de contenir cette crise qui menace son pouvoir, Nawaz Charif s’était engagé à établir une commission indépendante formée de juges de la Cour suprême, pour enquêter sur ces allégations de fraudes. Mais cette proposition a été rejetée par l’opposition qui réclame la démission du gouvernement. Selon les experts, cette alliance entre les deux ténors de l’opposition— quinze mois après les législatives— pourrait être le « jeu d’une armée » qui s’est servie de l’opposition pour faire pression sur Charif, avec qui elle a plusieurs problèmes, notamment en ce qui concerne les procès pour « haute trahison » contre l’ex-général Pervez Musharraf. En avril, le gouvernement a ouvertement défié l’armée en inculpant Musharraf— considéré comme un héros par le corps militaire, une première dans l’histoire de ce pays où les militaires jouissent d’une sorte d’immunité tacite. M. Musharraf a ensuite demandé que son nom soit retiré de la liste des personnalités interdites de quitter le territoire pakistanais, ce qui lui a été refusé au grand dam de l’armée. Selon les analystes, le départ à l’étranger de Musharraf semble désormais l’une des conséquences possibles des pressions exercées par l’opposition sur le gouvernement.
Regain de violences
Parallèlement à cette fronde antigouvernementale, le Pakistan était rattrapé cette semaine par un regain de violences, quand les talibans ont perpétré des attaques contre deux bases aériennes situées à Quetta, capitale de la province du Baloutchistan (sud-ouest). Cette opération avait été lancée à la suite de l’attaque la semaine dernière contre l’aéroport de Karachi (sud), le plus grand du pays. Le Mouvement des talibans du Pakistan (TTP), principal groupe rebelle islamiste du pays, avait revendiqué ce dernier assaut ayant fait 37 morts. Cette épine incassable des talibans ne cesse d’attiser la colère des Etats-Unis— alliés du Pakistan contre le terrorisme— qui reprochent toujours à Islamabad sa « mollesse » dans sa guerre contre les rebelles. Envenimant la colère du peuple contre son gouvernement, Washington a intensifié ses tirs de drones cette année contre les talibans au nord-ouest pakistanais, provoquant tant de morts civils, de quoi déchaîner la colère du peuple contre son gouvernement inapte à empêcher la violation de ses frontières. Lors de sa visite à Washington en octobre dernier, Charif a demandé au président Barack Obama de mettre fin aux tirs de drones, mais son appel est resté sans lendemain. Depuis, Charif est entre le marteau et l’enclume: ses relations avec Washington sont au plus bas et son peuple ne cesse de fustiger son impuissance à protéger l’intégrité territoriale du Pakistan.
En sus de tous ces défis, quelques tensions au Cachemire viennent s’ajouter aux maux de Charif. Lors de sa première visite au Cachemire indien la semaine dernière, le nouveau premier ministre indien, Narendra Modi, a accusé le Pakistan de mener une guerre par procuration au Cachemire, en armant les insurgés. Signe de tension dans cette région instable divisée entre l’Inde et le Pakistan: Islamabad a convoqué la semaine dernière un haut diplomate indien après des tirs à la frontière qui auraient fait des morts civils, selon Islamabad. Les autorités pakistanaises ont accusé New Delhi d’avoir violé le cessez-le-feu en vigueur depuis 2003.
Encerclé par ces défis, Nawaz Charif risque gros. Pour l’heure, la grande inconnue de l’équation politique pakistanaise reste la position de l’armée qui détient les vraies ficelles du jeu. N’oublions pas que Nawaz Charif a été renversé en 1999 par le général Musharraf, lors d’un coup d’Etat qui a ouvert une décennie de règne militaire. Un scénario qui pourrait facilement se répéter dans un pays abonné aux coups d’Etat ….
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