Bouleversant la donne politique à la veille des législatives anticipées du 22 janvier 2013, le premier ministre israélien Benyamin Netanyahu a annoncé cette semaine la fusion de son parti conservateur de droite, le Likoud, avec Israel Beitenou (Israël notre maison), la formation ultranationaliste — extrême droite — de son principal partenaire dans la coalition gouvernementale, le ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman. Cette décision — qui confirme la droitisation de Netanyahu — pourrait assurer à la droite et à ses alliés une confortable majorité dans la prochaine Knesset. « En Israël, le premier ministre a besoin d’avoir derrière lui une force pleine de cohésion », a dit Netanyahu, invoquant notamment la menace iranienne et les problèmes économiques et sociaux que connaît l’Etat hébreu. « L’union avec Lieberman me donnera un mandat clair qui me permettra de me consacrer aux questions les plus importantes », a-t-il justifié. Partageant le même enthousiasme, le ministre des Affaires étrangères a souhaité une profonde réforme du système politique israélien, prônant notamment le relèvement du seuil de voix nécessaires pour qu’un parti soit représenté au Parlement.
En fait, Netanyahu et Lieberman ont secrètement mené leurs tractations avant d’annoncer cette alliance surprise qui leur permettra sûrement de former un bloc politique à même de dessiner la prochaine coalition gouvernementale. En cas de victoire, Netanyahu conserverait son poste de chef du gouvernement, alors que Lieberman en deviendrait le numéro deux. Il est donc assuré d’obtenir l’un des trois postes les plus importants : la Défense, les Affaires étrangères ou les Finances. Selon certains sondages, cette liste commune obtiendrait 51 sur 120 sièges dans la prochaine Knesset, alors que d’autres sondages prédisent un score inférieur — 42 sièges, soit le total des voix des deux partis (le Likoud 27 et Israel Beitenou 15).
Selon les experts, ce mariage politique permettrait à Netanyahu de s’affranchir, au moins en partie, de l’instabilité chronique des coalitions gouvernementales, régies par le système de la proportionnelle intégrale. En joignant sa liste à celle d’Israel Beitenou, le Likoud pourrait être en mesure de former un large bloc nationaliste, très marqué à droite.
Une alliance inquiétante
Pourtant, ce mariage politique exacerbe certaines classes politiques en Israël et inquiète même certains membres des deux partis unis. « Un grand nombre de ministres, de députés et militants du Likoudpensent que cette alliance portera atteinte à leur formation », écrit dimanche le principal quotidien Yediot Aharonot. Un ministre du Likoud a même reproché à Netanyahu d’avoir mis le parti « dans une situation impossible ». « Il ne nous a pas consultés. Il a parié sur notre avenir, uniquement pour s’assurer un troisième mandat au pouvoir », a-t-il affirmé, rajoutant que ce rapprochement avec Israel Beitenou pourrait influencer les valeurs du Likoud. Parallèlement, un sondage a révélé dimanche que 35 % des électeurs d’Israel Beitenou sont hostiles à l’alliance avec le Likoud.
Outre la colère des deux partis, les dirigeants du centre et de la gauche ont dénoncé une dérive « nationaliste » et même « raciste » du Likoud. M. Lieberman, un colon qui fut le chef de cabinet de Netanyahu dans les années 1990, est, en effet, célèbre pour ses positions anti-arabes et ses déclarations ultranationalistes. « Le démon nationaliste est sorti du placard. Netanyahu a fait tomber son masque », a commenté samedi le chef du parti de centre droit Kadima, Shaul Mofaz. Ce dernier a appelé le centre israélien à « s’unir pour faire revenir Israël à ses valeurs avant qu’il ne soit trop tard ». D’après les analystes, la manœuvre Netanyahu-Lieberman pourrait avoir l’effet positif d’encourager les partis de centre-gauche à annoncer une coopération étroite dans le cadre d’un front de salut national. Ce front n’aura pas pour tâche de créer un seul parti, mais il aura une seule mission : « Non à Bieberman ». En outre, l’alliance entre le Likoud et Israel Beitenou est une menace directe pour les partis religieux qui pourraient perdre leur rôle de pivot, et même être exclus de la prochaine coalition gouvernementale. Selon les commentateurs, le pacte avec Lieberman implique pour Netanyahu l’adoption, au moins partielle, du programme d’Israel Beitenou, qui comprend la conscription militaire des étudiants des « yeshivot » (écoles religieuses juives) et la réduction des pouvoirs du rabbinat.
Plus grave encore, cette coalition porte en elle les germes de l’enterrement du processus de paix israélo-palestinien. M. Lieberman a toujours été hostile à toutes concessions en faveur des Palestiniens, et demande ouvertement le remplacement de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, qu’il accuse de« terrorisme diplomatique ». Dans le passé, M. Netanyahu avait pris ses distances avec les positions radicales de son ministre des Affaires étrangères. C’est pourquoi cette alliance a été accueillie avec réticence dans plusieurs capitales occidentales. Pour Zehava Gal-On, du parti de gauche Meretz, une telle initiative risque d’isoler Israël sur le plan international. « Le premier ministre a choisi la droite extrémiste, favorable à la colonisation, il a choisi de ne pas avancer dans le processus diplomatique avec les Palestiniens », a-t-elle déclaré. Selon une étude publiée cette semaine, l’opposition israélienne, cantonnée dans un rôle secondaire ces dernières années sous le double effet d’une économie stable et de l’impasse dans le dialogue israélo-palestinien, pourrait retrouver quelque vitalité les jours à venir grâce à la « droitisation » de Netanyahu.
Netanyahu, grand favori des élections
En dépit de sa droitisation et de son alliance inquiétante avec Lieberman, « Bibi » est donné favori des élections, selon les sondages. Aucun de ses adversaires au sein de l’opposition centriste ou de gauche n’est en mesure de le menacer. Après la dissolution du Parlement israélien, le premier ministre de droite a lancé sa campagne en se présentant comme le plus apte à la fois à éviter une crise économique et à défendre la capacité de dissuasion d’Israël. Confiant, M. Netanyahu a dévoilé certains thèmes de sa campagne. Sur le front sécuritaire, il se targue d’avoir réussi à imposer une stratégie de dissuasion. « Nous n’avons déclenché aucune guerre inutile. Il n’y a eu aucune guerre durant les sept ans où j’ai été premier ministre », a-t-il affirmé, en référence à ses deux mandats (1996-1999 et l’actuel, qui a débuté en 2009). Sur le dossier du nucléaire iranien, le leader de la droite estime avoir réussi, en agitant la menace d’une attaque israélienne, à convaincre la communauté internationale d’imposer des sanctions sans précédent qui portent durement atteinte à l’économie iranienne. Peu avant l’annonce des élections anticipées, M. Netanyahu a laissé entendre, dans son discours à l’Onu en septembre, qu’il repoussait une éventuelle frappe contre l’Iran, soupçonné de vouloir se doter de l’arme atomique, au printemps, voire à l’été 2013, c’est-à-dire après le scrutin. La possibilité d’une telle attaque sans un soutien américain a été critiquée par l’opposition, mais aussi selon les médias, par l’état-major et les services de renseignements.
Selon Netanyahu, la priorité du prochain gouvernement sera d’empêcher l’Iran d’acquérir des armes nucléaires et de combattre le terrorisme. Côté économie, Netanyahu joue sur son bilan : l’économie israélienne est parvenue jusqu’à présent à limiter les dégâts des crises des surprimes de 2008 et de la zone euro, et la croissance, quoiqu’en baisse, devrait atteindre 3,1 % cette année.
Il y a plusieurs semaines, « Bibi » avait appelé à des élections anticipées à cause des mésententes sur l’adoption du projet budgétaire d’austérité de 2013. Or, ces législatives ne vont pas beaucoup changer la donne politique en Israël, car Netanyahu va probablement gagner. La « droitisation » de l’Etat hébreu risque de l’isoler sur la scène internationale et d’enterrer à jamais le processus de paix.
Lien court: