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La confusion kurde

Abir Taleb , (avec Agences) , Mercredi, 08 janvier 2025

Alors que Damas s’attelle à dessiner les contours de la nouvelle Syrie, les zones kurdes connaissent de violents combats impliquant les FDS et des combattants pro-turcs. Au-delà des tensions actuelles, la question kurde, avec sa dimension régionale, revêt une grande complexité.

Une centaine de personnes sont mortes cette semaine dans des combats entre les FDS et des factions p
Une centaine de personnes sont mortes cette semaine dans des combats entre les FDS et des factions pro-turques. (Photo : AFP)

C’est un ballet diplomatique ou plutôt un marathon diplomatique que se livrent les nouvelles autorités syriennes. Après les visites de plusieurs délégations arabes, le nouveau dirigeant syrien, Ahmed Al-Chareh, a reçu cette semaine les chefs de la diplomatie française et allemande, les premiers responsables européens à se rendre en Syrie depuis la chute de Bachar Al-Assad, qui ont plaidé pour une transition pacifique incluant toutes les parties syriennes. Quelques jours après, le ministre syrien des Affaires étrangères, Asaad Al- Shibani, s’est rendu dimanche 5 janvier au Qatar puis aux Emirats arabes unis et en Jordanie. « Nous attendons avec impatience que ces visites contribuent à soutenir la stabilité, la sécurité, la reprise économique et à bâtir de bons partenariats », a-t-il dit. Avec le ministre syrien de la Défense, Mourhaf Abou Qasra, et le chef des services de renseignement, Anas Khattab, Al-Shibani s’était auparavant rendu à Riyad dans la première visite officielle des nouvelles autorités à l’étranger depuis la chute d’Assad.

Damas entend clairement renouer avec les pays de la région et du monde et sortir de son isolement. Mais si ses relations internationales vont dans le bon sens, du moins par rapport à l’ère d’Assad, où le pays était banni par la communauté internationale.

Pour autant, de nombreux défis internes persistent, notamment au sujet de l’insécurité persistante dans les régions kurdes. Dans des villages autour de la ville de Manbij, dans le nord du pays, une centaine de combattants sont morts depuis vendredi 3 janvier, en grande majorité au sein des factions syriennes pro-turques. C’est ce qu’a annoncé l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH) dimanche 5 janvier. Les factions pro-turques ont repris leurs attaques contre les Forces Démocratiques Syriennes (FDS, dominées par les Kurdes). Elles ont pris aux FDS les villes de Manbij et Tal Rifaat, dans le nord de la province d’Alep. Et les combats continuent depuis avec de lourds bilans humains. En parallèle, dans la journée du samedi 4 janvier, l’aviation turque a mené plusieurs raids contre des positions des FDS à Ain Issa près de Raqqa. Dans un communiqué, les FDS ont, de leur côté, affirmé avoir repoussé « toutes les attaques des mercenaires de la Turquie appuyés par les drones et l’aviation turcs ». Selon l’OSDH, l’objectif des factions pro-turques est de prendre ensuite les villes de Kobané et Tabqa, puis celle de Raqqa et au final chasser les FDS des territoires sous leur contrôle. Les FDS contrôlent de vastes zones du nord-est et une partie de la province de Deir Ezzor (est), où les Kurdes ont installé une administration autonome après le retrait des forces du pouvoir au début de la guerre en 2011.

Imbroglio

En effet, c’est à la faveur de la guerre civile puis de la lutte contre Daech que la minorité kurde de Syrie a consolidé une administration autonome au nord-est du pays. Mais la Turquie voisine considère les FDS comme une extension de son ennemi juré, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, kurde turc), contre lequel Ankara est en guerre depuis des décennies. La Turquie souhaite donc affaiblir l’autorité des Kurdes de Syrie et créer une zone tampon à ses frontières, débarrassée de l’influence du PKK. Depuis de nombreuses années, l’aviation turque mène des frappes sur certaines cibles civiles et militaires de la région, mais la chute précipitée du régime de Bachar Al-Assad a ouvert une nouvelle opportunité pour sécuriser ses frontières. Et le chef de la diplomatie turque l’a fait savoir lors d’un entretien téléphonique avec son homologue américain, Antony Blinken, la semaine dernière : les combattants kurdes syriens ne peuvent pas être tolérés en Syrie.

Du côté des nouvelles autorités syriennes, Al-Chareh a affirmé que les FDS, comme les autres factions armées, devraient être intégrées à la future armée syrienne. C’est dans ce contexte qu’Al-Chareh a récemment tenu des discussions jugées « positives » avec une délégation des FDS. Une première rencontre qui laisse entrevoir des perspectives encourageantes. Quant aux Kurdes syriens, dos au mur, ils ont tendu la main aux nouveaux maîtres de Damas, mais craignent de perdre l’autonomie limitée acquise de haute lutte dans le nord-est de la Syrie.

Pour Damas, l’enjeu est de taille d’autant plus que les FDS ne sont pas un acteur anodin en Syrie. Elles ont été le partenaire-clé des Américains dans la lutte contre Daech, mais contrôlent aussi des territoires stratégiques qui englobent d’importantes ressources, notamment du gaz et du pétrole, ainsi que de vastes zones agricoles. Pour la Turquie, l’enjeu est aussi de taille. Ankara est très proche des nouvelles autorités syriennes, c’est aussi un allié de Washington, à son tour proche des FDS. Un véritable imbroglio.

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