Al-Ahram Hebdo : Le limogeage du ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, après des mois de tensions, ouvre-t-il la voie à une nouvelle crise ?
Saïd Okasha: Le limogeage de Gallant était attendu avant même le 7 octobre 2023. Les divergences entre lui et le premier ministre, Benyamin Netanyahu, faisaient la une des médias israéliens. La rivalité entre les deux hommes était critiquée par la classe politique et par l’opinion publique. Mais c’est le timing de ce limogeage, préparé depuis plusieurs mois, qui interpelle. Selon les déclarations de Netanyahu, les différends sur la guerre sont à l’origine de ce limogeage. Ces dernières semaines, plusieurs événements considérés comme des victoires ont profité à Netanyahu, l’assassinat des principaux dirigeants du Hezbollah et du Hamas, la poursuite de la destruction de Gaza et du Liban… En outre, le timing coïncide avec l’élection américaine qui attire toute l’attention. Deux jours avant l’annonce du limogeage de Gallant, Netanyahu a déclaré qu’il y avait eu une fuite d’informations sensibles et quatre militaires ont été pointés du doigt. C’était donc l’occasion de se débarrasser de Gallant dont les positions ne sont pas en harmonie avec Netanyahu. En plus, Gallant s’était attiré les foudres des partis ultra-orthodoxes, alliés-clés de la coalition gouvernementale, en ordonnant la conscription de 10 000 hommes de cette communauté religieuse bénéficiant jusque-là d’une exemption en vertu d’une règle instaurée à la création d’Israël en 1948. Une question cruciale au coeur du débat politique.
— Cela va-t-il conduire à plus de fragilité au sein de la coalition gouvernementale ou au contraire, va-t-il la renforcer ?
— En se débarrassant de Gallant, Netanyahu consolide sa coalition. Ce dernier a choisi Israël Katz comme nouveau ministre de la Défense et Gideon Saar comme ministre des Affaires étrangères pour garantir leur soutien à ses décisions. Or, Katz et Saar ont aussi leurs divergences avec Netanyahu sur d’autres questions. Cela peut pousser les deux hommes à ambitionner de le remplacer à la tête du Likoud.
— Comment cette décision affectera-t-elle la gestion des guerres menées sur plusieurs fronts par Israël ?
— On ne peut exclure que Katz et Saar s’orientent vers des politiques plus extrêmes dans la gestion des guerres qu’Israël mène actuellement. Car les deux veulent la poursuite de la guerre jusqu’à ce que la puissance militaire du Hezbollah soit éliminée et que l’Iran soit dissuadé de répéter ses attaques contre Israël, même si cela conduit à une guerre globale dans la région. Cela risque, d’un côté, d’envenimer la situation interne, notamment face aux parties qui veulent contenir la situation pour libérer les otages, mais surtout, d’autre côté, de conduire à une escalade et à un bras de fer avec certaines parties internationales qui pressent pour arrêter les guerres dans la région.
— Le limogeage de Gallant éloigne-t-il donc encore plus l’option d’un cessez-le-feu ?
— Après s’être débarrassé de Gallant, Netanyahu va donc mener une politique plus radicale. Bien que Gallant soit le premier à mener la guerre contre Gaza, l’ex-ministre de la Défense semblait de plus en plus en faveur d’un accord pour stopper les hostilités et permettre la libération des otages, depuis que le Hamas a été réduit à une menace minime. Ce qui contrecarrait les ambitions de Netanyahu de faire durer la guerre. En outre, Gallant voulait que Gaza revienne sous le contrôle des Palestiniens (hors Hamas). Il était opposé à une occupation durable du nord de Gaza et au retour des colons. En revanche, Netanyahu a plaidé à plusieurs reprises pour le maintien du contrôle militaire israélien sur la bande de Gaza. C’est-à-dire la recolonisation des territoires situés au nord de la ville de Gaza. Autre point de discorde, Gallant s’est illustré par une approche qui, tout en restant ferme, visait à éviter une escalade immédiate avec le Hezbollah. Gallant privilégiait des mesures de dissuasion ciblées et une préparation accrue des défenses israéliennes dans le nord, sans toutefois encourager des attaques préventives majeures. En revanche, Netanyahu a montré une volonté de renforcer la pression sur le Liban en mobilisant l’opinion internationale contre le Hezbollah et en accentuant le déploiement militaire à la frontière
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