Malgré l'échec de leurs négociations, Kerry et Lavrov ont affirmé leur volonté de parvenir à une solution diplomatique à la crise.
(Photo:Reuters)
Le bras de fer entre Moscou et l’Occident va-t-il prendre fin prochainement ? Des gestes d’ouverture russe ont semé cette semaine l’espoir d’une issue à la crise ukrainienne, la plus grave entre Moscou et l’Occident depuis la fin de la Guerre froide. Une ouverture russe qui a été accueillie avec enthousiasme par les Occidentaux, d’autant plus que l’arme des sanctions n’avait remporté aucun fruit avec le régime russe.
Premier pas sur la voie de la diplomatie : le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, et le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, se sont retrouvés, dimanche soir, à Paris pour tenter de mettre fin à la crise. Même si les deux chefs n’ont pas réussi à parvenir à une solution après plus de quatre heures de négociations « intenses », ils ont affirmé leur volonté de parvenir à un règlement diplomatique de la crise. A l’issue de la réunion, M. Kerry a appelé la Russie à retirer ses troupes de la frontière ukrainienne et a affirmé qu’aucune décision sur l’Ukraine ne serait prise sans la participation de Kiev. Ces négociations d’urgence ont été organisées après un entretien téléphonique vendredi soir entre le président Barack Obama et son homologue russe Vladimir Poutine, premier contact entre les deux chefs depuis l’annonce par Washington de sanctions économiques visant l’entourage proche de Poutine.
Lors de la réunion, la solution proposée par Moscou a porté sur une fédéralisation de l’ex-République soviétique qui donnerait plus d’autonomie aux régions russophones, une exigence des régions du sud et de l’est. En fait, l’idée d’une décentralisation a été évoquée par certains diplomates occidentaux et la France s’y est dite favorable afin d’apaiser les tensions qui règnent dans ces régions proches culturellement et économiquement de la Russie.
Selon les experts, Moscou était obligé de tendre sa main à l’Occident pour plusieurs motifs, notamment en raison des pesées des sanctions sur les Russes qui pourraient avoir de lourdes séquelles sur la popularité de Poutine. Déjà, des manifestations russes contre la politique de Poutine ont émaillé les rues de Moscou, rejetant une guerre avec l’Occident. Bien plus, la récente tournée de Barack Obama en Europe a mis en relief l’isolement de Moscou sur la scène internationale et a abouti à l’exclusion de la Russie du G8 comme châtiment à son annexion de la Crimée. Outre cette liste de menaces, Vladimir Poutine a fait part à son homologue américain de son inquiétude concernant le « déferlement d’extrémistes » en Ukraine et la situation de la Transdniestrie, région russophone de Moldavie, ex-République soviétique entre l’Ukraine et la Roumanie où stationnent des troupes russes, appelant à des pourparlers internationaux rapides pour mettre fin à « l’état de siège » que subit cette région.
Mais Moscou lance des signes contradictoires : alors que les troupes russes massées à la frontière ukrainienne ont commencé lundi à se retirer, selon Kiev, Moscou se montre inflexible et n’est pas prêt à revenir sur l’annexion de la Crimée. Pour preuve, le premier ministre Dmitri Medvedev est arrivé lundi en Crimée pour une visite consacrée au développement socioéconomique de cette péninsule.
Dans le même temps, il n’est pas dans l’intérêt des Européens, qui ne peuvent pas se passer du gaz russe, de se diriger vers une plus grande confrontation avec Moscou.
Campagne électorale
De part et d’autre, tout est donc question d’intérêts. Pendant ce temps, le principal concerné, à savoir l’Ukraine, paraît voir son sort se jouer entre les mains des grandes puissances.
Pour le moment, Kiev, qui a sèchement rejeté la proposition russe de fédéralisation, se prépare à la présidentielle du 25 mai. Lundi, la Commission électorale a annoncé enregistrer 46 dépôts de candidatures pour la présidentielle, annonçant le début d’une campagne électorale assez « dure » dans le sillage de la crise économique et politique majeure qui a conduit l’Ukraine au bord de la faillite et lui a coûté la perte de la Crimée.
Pour l’heure, les candidats pro-européens partent grands favoris, notamment le milliardaire et ancien ministre Petro Porochenko en tête de tous les sondages. Ce magnat du chocolat et des médias de 48 ans a reçu le soutien de l’ex-boxeur Vitali Klitschko, qui a renoncé à la présidentielle et va briguer la mairie de Kiev. « Le pays se trouve en état de guerre, une partie de son territoire est occupée. Dans une telle situation, l’Ukraine a besoin d’unité », a déclaré M. Klitschko. Seul oligarque ukrainien à avoir ouvertement soutenu le mouvement de contestation pro-européen qui a abouti à la destitution du président Ianoukovitch, M. Porochenko a été ministre des Affaires étrangères entre 2009 et 2010, sous le président pro-européen Viktor Iouchtchenko, puis ministre de l’Economie de mars à novembre 2012 sous le président Ianoukovitch. Or, le chemin de M. Porochenko ne sera pas sans embûches car il devra résister à un challenger redoutable : la controversée Ioulia Timochenko. A 53 ans, l’ex-premier ministre, qui vient de passer deux ans en prison, se montre déterminée à effacer sa défaite de 2010 face à Ianoukovitch et mène campagne en ciblant Vladimir Poutine, promettant de reprendre la Crimée. Faisant de l’humiliation ukrainienne subie en Crimée son cheval de bataille, Mme Timochenko a promis de mettre fin à l’« agression » de la Russie : « Je saurai créer une armée moderne ». Même promesse présentée par son rival : « Je vais créer une nouvelle armée, moderne et efficace, qui défendra la souveraineté et l’intégrité de l’Etat ».
Selon les analystes, cette course à la présidentielle va conduire un président pro-européen à la tête de l’Ukraine, de quoi susciter la colère de Moscou. « Tout Etat aura du mal à reconnaître la légitimité de cette présidentielle se déroulant en présence du président légitimement élu Viktor Ianoukovitch », a lancé le délégué permanent de Russie auprès de l’Union européenne, Vladimir Tchijov. Quel que soit le nom du nouveau président, il sera rejeté par Moscou car il ne sera qu’une « marionnette » dans les mains des Européens. En attendant de parvenir à une solution, chaque partie tente donc de faire peser son poid.
Lien court: