Régnant sans partage depuis 2002, le Parti de la Justice et du développement (AKP) ne doit pas trop espérer remporter une majorité lors des élections municipales du 30 mars. Selon les experts, ces élections, qui feront office de référendum, seront le premier test de popularité pour l’AKP et le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, éclaboussé par un scandale politico-financier depuis mi-décembre. Déjà, un récent sondage situait l’AKP à 36 % des intentions de vote en cas de législatives anticipées, bien loin des 50% obtenus en 2011. Erdogan se trouve, pour la première fois depuis le début de la récente crise politique qui secoue le pays, mis en cause personnellement par deux écoutes téléphoniques compromettantes diffusées sur Internet. Dans la première écoute, Erdogan ordonne à son fils de faire disparaître des dizaines de millions de dollars. Dans la deuxième, il demande à son fils de refuser une somme de 10 millions de dollars proposée par un homme d’affaires, la jugeant insuffisante. La diffusion de ces deux écoutes sur Internet a eu l’effet d’une bombe en Turquie.
Malgré les tentatives du premier ministre de s’en disculper, ce coup de théâtre a enflammé l’opposition et a précipité à nouveau des milliers de Turcs dans les rues d’Istanbul et d’Ankarapour dénoncer la corruption du pouvoir et exiger la démission de celui que les slogans désignent sous le terme de « voleur ».
Ainsi, déstabilisé par un scandale qui risque de le jeter en prison, le premier ministre a tenté de contrôler une situation devenue « incontrôlable », en engageant des purges sans précédent dans la hiérarchie policière et la haute magistrature liées au mouvement de l’influent prédicateur, Fethullah Gülen, accusé d’être derrière le « complot ourdi » contre Erdogan. En fait, la guerre entre Erdogan et Gülen, qui réside aux Etats-Unis, avait éclaté en novembre lorsque le gouvernement a avancé l’idée de fermer des écoles privées, une importante source de revenus pour le mouvement du prédicateur. Samedi, Erdogan a adressé un coup mortel à son adversaire quand le Parlement turc a décidé de fermer des milliers de ces écoles privées gérées par Gülen. Haussant le ton, Erdogan a défié son rival, en l’appelant à venir l’affronter dans les urnes en Turquie. « Reviens dans ta patrie et lance-toi en politique, mais ne t’engage pas dans des actions qui pourraient menacer la sécurité de la Turquie », a défié Erdogan.
Soucieux d’étrangler de plus en plus ses adversaires, le gouvernement turc a promulgué une loi très controversée qui renforce son emprise sur la justice. Cette loi place la principale autorité judiciaire du pays, le Haut conseil des juges et des procureurs sous la tutelle du ministre de la Justice. L’opposition turque avait appelé le président Gül à mettre son veto à ce texte, alors que l’Union Européenne (UE) s’était inquiétée auprès d’Ankara, candidat à l’UE, d’une remise en cause de « l’indépendance de la justice ». Pour tenter d’apaiser ces critiques, le chef d’Etat a, fait inhabituel, justifié son feu vert à cette nouvelle loi, soulignant avoir refusé 15 dispositions, contraires à la Constitution, mais a assuré qu’elles avaient été prises en compte lors des débats au Parlement. Ces amendements n’ont pourtant pas calmé la colère de l’opposition, qui a confirmé son intention de saisir la Cour constitutionnelle.
Selon les experts, le mal est fait pour l’homme fort de la Turquie, et sa rhétorique de plus en plus virulente n’y changera rien. Sa probable défaite— et celle de son parti— lors des municipales ne serait que la goutte qui annonce la pluie.
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