Des manifestations se sont déchaînées dans plusieurs villes occidentales pour dénoncer l'incursion russe en Ukraine. (Photo : Reuters)
Quel avenir attend cette Ukraine convoitée par les Russes et les Occidentaux depuis son indépendance en 1991? Déjà, au bord de la faillite économique, cette ex-république soviétique semble perdue dans les labyrinthes d’un conflit sur les zones d’influence qui n’est pas sans rappeler la guerre froide entre l’Occident et Moscou. Pour l’heure, les dernières évolutions ne lui augurent rien de bon et le scénario de la guerre semble «
inéluctable ».
Ne pouvant pas tolérer à Kiev son choix européen fait la semaine dernière, la Russie a montré ses dents, en procédant à une intervention armée dans les régions ukrainiennes pro-russes, bafouant les mises en garde occidentales. « Le choix occidental fait par Kiev est une question existentielle pour Moscou qui ne va jamais tolérer à ses frontières un pays pro-européen qui pourrait adhérer à l’Otan et par la suite accepter sur ses territoires le déploiement de bases militaires de l’Alliance atlantique, ce qui constituerait une menace à la Russie. Quelles que soient les conséquences, Moscou tentera de barrer la route à l’accroissement de l’influence européenne dans sa région. Le scénario d’une guerre est à craindre », explique Dr Hicham Ahmad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire.
Ses propos ne manquent pas de crédibilité puisque le président russe, Vladimir Poutine, a donné cette semaine le feu vert à une intervention armée russe en Ukraine, où l’état d’alerte a été décrété face aux menaces qui pèsent sur la Crimée et l’est du pays. Déjà, des forces russes ont pris le contrôle de points stratégiques en Crimée— république autonome au sud— quelques heures après qu’un commando pro-russe eut pris possession du Parlement local avant de hisser le drapeau russe sur la façade du Parlement. Juste après, le Parlement a voté la tenue le 30 mars d’un référendum pour plus d’autonomie. Dimanche, les nouvelles autorités pro-russes ont pris le contrôle de la Crimée. Selon les experts, ces évolutions prédisent un échappement de la Crimée au contrôle de Kiev, qui pourrait être suivi par d’autres régions pro-russes. Une contagion qui n’a pas trop tardé : dimanche, des régions pro-russes ont suivi l’exemple de la Crimée, dans l’est et le sud russophones avec des irruptions d’hommes armés dans plusieurs sites stratégiques et d’importantes manifestations pro-russes. A Kharkiv (est), des manifestants ont pris d’assaut le siège de l’administration régionale et y ont hissé le drapeau russe.
Faisant de ces évolutions le prétexte de son intervention en Ukraine, le président russe, Vladimir Poutine, a justifié sa position. « Nous ne voulons pas la guerre avec l’Ukraine, mais notre intervention vise à protéger nos intérêts et ceux des populations russophones en cas de violences dans l’est et en Crimée ». En fait, ce n’est pas la première fois que la Russie intervient militairement dans des ex-républiques soviétiques: elle l’a déjà fait en Géorgie en 2008 et en Moldavie en 1992.
Preuve que Moscou ne va pas céder le pas : le Kremlin a accepté de protéger le président déchu, Viktor Ianoukovitch, pro-russe, affirmant qu’il reste le « président légitime » de l’Ukraine. Lors de sa première apparition publique en Russie, le président déchu a affirmé qu’il n’avait « pas été renversé » et a promis de « poursuivre la lutte » pour l’avenir de l’Ukraine. Selon les analystes, Poutine va utiliser l’influence de Ianoukovitch dans les régions ukrainiennes russophones pour les encourager à échapper au contrôle des autorités de Kiev pro-européenne. En d’autres termes, si Poutine n’arrive pas à manger tout le gâteau, au moins, il en prendra une bonne partie. De peur de voir son pays s’effriter, le président ukrainien par intérim a mis en alerte son armée— dans un état piètre— et a renforcé la protection des aéroports et des sites stratégiques. Inquiet, le Parlement ukrainien a voté une résolution, appelant les Etats-Unis et la Grande-Bretagne à garantir sa souveraineté.
L’Occident fait bloc contre Moscou
Sans attendre les secours ukrainiens, les Occidentaux, qui n’ont pas eu le temps de savourer leur victoire en Ukraine, ont multiplié les mises en garde à l’égard de Moscou et ont mené une intense activité diplomatique pour la dissuader d’intervenir en Ukraine. Dimanche, l’Otan a convoqué une réunion d’urgence des 28 ambassadeurs des pays membres, où il a accusé la Russie de « menacer la paix en Europe », et a appelé Moscou à « cesser ses activités militaires et ses menaces ». « Ce que fait la Russie en Ukraine viole les principes de la charte des Nations-Unies », a affirmé le secrétaire général de l’Otan, Anders Fogh Rasmussen. Le même jour, le chef de la diplomatie grec, dont le pays occupe la présidence tournante de l’Union Européenne (UE), s’est rendu à Kiev, avec son homologue britannique, William Hague, pour assurer les nouveaux dirigeants ukrainiens du soutien de l’UE. Dans le cadre de cette mobilisation internationale contre la Russie, le Conseil de sécurité des Nations-Unies s’était réuni samedi en urgence et a réclamé le retrait des renforts russes de Crimée et l’envoi d’observateurs internationaux en Ukraine. Alors que des manifestations populaires se sont rassemblées devant l’ambassade russe à Berlin, Londres, Varsovie, le club européen a adopté une ligne ferme face à la Russie, certains rappelant leur ambassadeur comme le Canada, d’autres menaçant de ne pas participer au G8 de Sotchi (Russie) en juin comme la France.
Quant à Washington, il n’était pas absent du jeu. Lundi, les Etats-Unis ont demandé l’envoi en Ukraine des observateurs internationaux de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Dès le début de la semaine, la Maison Blanche a exigé de la Russie qu’elle retire ses forces déployées en Crimée, faute de quoi elle s’exposait à un isolement international et à un impact « profond » sur ses relations— déjà dégradées— avec Washington. Le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a, pour sa part, mis en garde la Russie sur le risque de perdre sa place au sein du G8 si elle poursuit son incursion militaire en Crimée. Lors d’un appel téléphonique de 90 minutes, le président Obama a affirmé à son homologue russe qu’il avait violé la loi internationale en déployant des soldats russes en Crimée. Outre le risque d’isolement, Moscou a commencé à payer les frais de la crise ukrainienne, en voyant lundi sa Bourse et son rouble chuter. Malgré les appels occidentaux et les secours ukrainiens, l’avenir d’une Ukraine— déchirée et au bord du gouffre financier— resterait sombre tant que les vrais protagonistes du jeu ne voient que leurs intérêts personnels.
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