Lors de ses entretiens avec la présidente sud-coréenne, Kerry a affirmé que son pays n'accepterait jamais que la Corée du Nord devienne une puissance nucléaire.
(Photo:AP)
L’événement est rare sur la péninsule. Pour la première fois depuis 7 ans, des discussions de très haut niveau ont eu lieu cette semaine entre les deux Corées, alors que la tension est à son comble entre les deux soeurs ennemies, à l’approche des manoeuvres annuelles prévues le 24 février entre Séoul et Washington. Ces pourparlers, qui font suite aux récentes déclarations des dirigeants des deux pays — le Nord-Coréen, Kim Jong-Un, et la Sud-Coréenne, Park Geun-Hye — plaidant pour une amélioration des relations bilatérales, visaient à parvenir à un accord sur la réunion des familles séparées par la guerre (1950-53) prévue du 20 au 25 février dans la station du mont Kumgang, en territoire nord-coréen. Selon les experts, ce dossier humanitaire ouvre souvent la voie à l’examen d’autres sujets beaucoup plus épineux.
Soucieux de ne pas fermer la porte du dialogue malgré plusieurs points de discorde toujours insurmontables, les deux Corées sont convenues, vendredi, de maintenir à la fin du mois la réunion des familles, malgré les menaces de Pyongyang de les saboter en rétorsion aux exercices militaires américano-sud-coréens. Les deux voisines se sont également engagées à poursuivre le dialogue à une date indéterminée. Selon les observateurs, la réunion des familles n’était qu’un faux prétexte pour Pyongyang qui aspirait — lors des pourparlers — à convaincre sa voisine du sud de repousser ses manoeuvres avec les Etats-Unis. Pyongyang considère toujours ces exercices comme un entraînement à une invasion de son territoire. Le fait qu’il demande un simple report de ces exercices est en soi un progrès, alors qu’il a toujours réclamé leur suppression définitive. Or, même ce report a été rejeté par Séoul qui affirme qu’il s’agit de manoeuvres « défensives ». En riposte à cette obstination sud-coréenne, des experts s’attendent à ce que le Nord annule ces réunions des familles à la dernière minute, comme il l’avait fait en septembre.
Là, plusieurs questions s’imposent à l’esprit : Pyongyang souffle-t-il le chaud et le froid à l’iranienne ? Comment accepte-t-il les réunions des familles d’une part et menace de les saboter de l’autre ? Ce mois, qui ressuscite le souvenir du tir nucléaire nord-coréen en février 2013, verra-t-il cette année un nouvel essai nucléaire ? Les dernières évolutions le laissent supposer. On n’a pas encore oublié les voeux du nouvel an faits par le leader Kim Jong-Un qui a promis un « désastre nucléaire » et « un holocauste défiant l’imagination duquel Washington ne sortira jamais indemne » en 2014. Selon certains experts, un tir nucléaire nord-coréen pourrait être prêt en mars ou avril, surtout que la Corée du Nord a accéléré « de façon significative » les travaux d’excavation sur son principal site nucléaire de Punggye-ri et qu’elle détient suffisamment de matériaux fissiles— du plutonium notamment — pour fabriquer entre 6 et 10 bombes nucléaires. Vendredi, un institut américain a exacerbé les inquiétudes, affirmant que le Nord a achevé l’agrandissement de son site de Sohae (ouest) d’où il pourrait lancer des missiles capables de frapper les Etats-Unis. Ces évolutions inquiétantes alimentent les doutes sur la naissance d’un nouveau casse-tête nucléaire susceptible de perturber le sommeil de la communauté internationale, et surtout les Etats-Unis qui n’ont pas encore repris leur souffle après la solution de la crise iranienne.
Etouffer toute menace
Les Etats-Unis n’accepteront pas la répétition du drame iranien et vont s’efforcer à étouffer toute nouvelle menace nucléaire. Parallèlement aux pourparlers intercoréens, le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a entamé une tournée en Asie, dominée par la crise nord-coréenne. A Séoul — première étape de sa tournée — John Kerry a mis en garde Pyongyang contre toute tentative de saboter les manoeuvres américano-sud-coréennes, lors de ses entretiens avec la présidente sud-coréenne : « La Corée du Nord — et bien évidemment le défi que représente son programme nucléaire — reste un sujet essentiel pour la sécurité », a affirmé Kerry. Haussant un peu plus le ton, le responsable américain a souligné que les Etats-Unis « n’accepteraient jamais » que la Corée du Nord devienne une puissance nucléaire et qu’il refuserait de discuter avec Pyongyang uniquement « pour le plaisir de discuter ». « La Corée du Nord doit prendre des mesures significatives en vue d’une dénucléarisation avant qu’un dialogue ne commence. Cela fait longtemps que la communauté internationale ne prend plus pour argent comptant les mots de la Corée du Nord », a averti Kerry, avant de se rendre vendredi à Pékin — unique allié de poids de Pyongyang — pour l’inciter à « s’appuyer sur l’influence unique dont elle dispose » pour convaincre le régime stalinien de prouver sa volonté de redémarrer les négociations à Six. Ruinée économiquement, la Corée du Nord fait actuellement pression sur ses antagonistes sud-coréens et américains pour une reprise des négociations à Six interrompues en 2008 (Etats-Unis, deux Corées, Russie, Chine et Japon) qui visent à ce qu’elle renonce à son programme nucléaire en échange d’une aide, énergétique notamment.
Malgré cette ambiguïté nord-coréenne, l’avenir du nucléaire nord-coréen semble inquiétant car le régime ne suit pas la raison. Comment un pays si pauvre dépense-t-il autant sur le nucléaire, alors que son peuple succombe sous la famine ? Peut-être s’agit-il d’une façon d’extorquer des garanties de sécurité ou une aide économique ? Selon les analystes, le nucléaire n’a jamais été une fin en soi pour les Nord-Coréens, mais plutôt un moyen de se défendre contre Washington et aussi un moyen de faire chantage pour sauver une économie ruinée.
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