Al-Ahram Hebdo : Comment peut-on évaluer l’avis de la Cour Internationale de Justice (CIJ) ?
Ayman Salama : Il est essentiel de distinguer entre une décision et un avis. La CIJ a rendu un avis consultatif à l’ONU. En tant que principal organe judiciaire des Nations-Unies, la CIJ a déclaré que l’occupation par Israël de la Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-Est, ainsi que ses colonies violaient le droit international. L’utilisation continue et abusive de sa position en tant que puissance occupante, l’annexion des territoires palestiniens occupés et le maintien d’un contrôle permanent, ainsi que la privation continue du peuple palestinien de son droit à l’autodétermination violent les principes du droit international et rendent illégale la présence d’Israël dans les territoires palestiniens occupés. Tous les Etats sont tenus de ne pas reconnaître comme licite la situation résultant de cette présence illicite et de ne pas apporter leur aide ou assistance au maintien de cette situation. Cet avis, bien qu’il ne soit pas contraignant, possède une grande valeur juridique, ainsi qu’une forte autorité morale. La CIJ estime également que l’Etat d’Israël est tenu de cesser immédiatement toute nouvelle activité de colonisation, d’évacuer tous les colons des territoires palestiniens occupés et de réparer les préjudices causés aux personnes physiques et morales concernées dans ce territoire.
— La CIJ a-t-elle expliqué les motifs de son avis ?
— A partir de février dernier, des représentants de plus de 50 pays, ainsi que plusieurs organisations onusiennes, arabes et musulmanes ont pris la parole lors des audiences. Dans un rapport de 80 pages, la CIJ a exposé son avis sur les actions israéliennes dans les territoires occupés, suite à une enquête ouverte depuis décembre 2022 à la demande de l’ONU pour répondre à des questions spécifiques. La CIJ est compétente pour régler les différends juridiques soumis par les Etats, ainsi que pour donner des avis consultatifs. La demande d’avis consultatif de l’ONU fait suite au rapport publié en octobre 2022 par une commission d’enquête mandatée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, dirigée par la juge sud-africaine Navanethem Pillay. Ce rapport a conclu qu’il existait des raisons sérieuses de considérer que l’occupation israélienne des territoires palestiniens est illégale au regard du droit international, en raison de sa permanence et des politiques d’annexion de facto du gouvernement israélien.
— Quelles sont les questions que l’ONU a posées à la CIJ ?
— Une résolution de l’Assemblée générale des Nations-Unies, adoptée fin 2022 par 87 Etats, avec 53 abstentions et 26 votes contre, renfermait deux questions précises adressées à la CIJ : « Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongée des territoires palestiniens occupés depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ? ». L’autre question était : « Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les Etats et pour l’Organisation des Nations-Unies ? ».
— Pourquoi les réactions mondiales à l’avis de la CIJ sont-elles faibles ?
— Les décisions de la CIJ, créée après la Seconde Guerre mondiale, sont contraignantes, mais elle ne dispose pas de moyens concrets pour les faire appliquer. Ainsi, les pays arabes sont pessimistes et ne voient aucune importance à cet avis. Une autre raison est que la guerre de Gaza menace toute la région et ses effets s’étendent de plus en plus. En plus, outre le Hezbollah, la Syrie et l’Iran, l’armée israélienne vient d’attaquer les Houthis au Yémen.
— Quelle est donc l’importance de cet avis ?
— Cet avis est d’une grande importance, à condition de tirer parti de ses détails. Il qualifie la présence d’Israël dans les territoires palestiniens d’occupation militaire agressive, illicite et ayant commis des crimes contre les droits de l’homme. Ainsi, l’Autorité palestinienne ou n’importe quel pays ou organisation peut présenter une plainte ou un procès à l’Assemblée générale de l’ONU demandant l’arrêt de l’occupation israélienne. Une autre demande pourrait être la reconnaissance mondiale de l’Etat de Palestine. Bien que ce soit un chemin long, difficile et complexe, de telles demandes sont réalisables.
— Cet avis est-il lié à la plainte présentée par l’Afrique du Sud contre Israël pour génocide à Gaza ?
— Cette affaire est distincte de la plainte de l’Afrique du Sud contre Israël pour génocide à Gaza, déposée le 29 décembre 2023, et fait l’objet d’une autre procédure. Le 24 mai 2024, la CIJ a demandé à Israël de mettre fin à son opération militaire à Rafah et à Gaza, une demande qu’Israël n’a pas respectée. Dans un premier jugement en janvier concernant cette plainte, la CIJ a ordonné à Israël de faire tout son possible pour prévenir les actes de génocide lors de ses opérations militaires à Gaza et de faciliter la livraison de l’aide humanitaire et le travail des organisations humanitaires opérant à Gaza pour secourir les civils. L’Afrique du Sud a de nouveau saisi la CIJ à plusieurs reprises depuis, argumentant que la situation humanitaire désastreuse à Gaza nécessitait de nouvelles mesures d’urgence.
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