Al-Ahram Hebdo : Quoique limitée, l’attaque israélienne en Iran a visé la région ultra-sensible d’Ispahan, qui abrite des installations nucléaires. Israël peut-il viser directement des sites nucléaires iraniens ?
Nanis Abdel-Razek : D’abord, les frappes israéliennes à Ispahan n’ont causé aucun dommage. Ensuite et surtout, les Etats-Unis ne veulent pas que la situation s’aggrave dans la région, donc je pense qu’Israël n’entreprendra pas une telle démarche à même de conduire à une dangereuse escalade. Même si des escarmouches surviennent, leurs objectifs seront limités.
— Mais des responsables iraniens ont brandi la menace du nucléaire militaire …
— Les responsables iraniens sont doués en propagande, et leurs menaces ne sont que des messages selon lesquels l’Iran veut montrer qu’il est fort et est toujours capable de menacer.
— Oui, mais le nucléaire iranien inquiète vraiment …
— C’est vrai que l’Iran a augmenté ses stocks d’uranium enrichi, s’élevant à 23 fois la limite stipulée dans l’accord de 2015 entre Téhéran et les puissances mondiales, mais jusqu’à l’instant, je pense qu’il ne possède pas de bombe nucléaire. La production d’une telle arme nécessite plusieurs autres éléments et coûte très cher et n’oublions pas que l’Iran traverse une crise économique en raison des sanctions qui lui sont imposées par l’Occident. Tout ceci ne nie pas le fait que l’Iran cherche à posséder la capacité à produire une arme nucléaire.
— L’Union européenne vient de renforcer ses sanctions contre l’Iran. Quelles en seront les incidences ?
— L’Iran a une longue expérience avec les sanctions et sait les gérer, voire les détourner. Les sanctions n’ont pas empêché Téhéran de fabriquer des drones et des missiles. L’Iran est actuellement un important producteur de drones qui sont capables de cibler des objectifs très éloignés de ses frontières. Il possède également le plus grand nombre de missiles balistiques de la région. L’Iran a pu détourner les sanctions grâce à ses alliances avec la Russie, la Chine et la Corée du Nord. Le programme de missiles iranien est largement basé sur des modèles nord-coréens, russes et chinois. Il n’est donc impossible pour l’Iran de produire l’arme nucléaire.
Or, je pense que l’Iran n’a pas besoin à l’heure qu’il est de chercher à le faire, puisqu’il a pu réaliser ses objectifs politiques et régionaux sans avoir recours à cette arme. Il a pu imposer son hégémonie sur certains pays de la région, comme le Yémen, l’Iraq ou encore le Liban. Ce qui lui a donné un poids géostratégique. La stratégie de l’Iran de s’imposer comme un acteur incontournable dans la région a été réalisée. En outre, en tant que membre du Traité de Non-Prolifération nucléaire depuis 1968, l’Iran n’a pas le droit de produire des armes nucléaires.
— Pensez-vous que l’Occident ait profité des tensions actuelles pour imposer plus de sanctions sur Téhéran ?
— Il faut savoir que les sanctions ont des répercussions sur toutes les parties. On a vu comment l’Occident a souffert en raison des sanctions imposées sur la Russie. En plus, la guerre à Gaza et ses coûts élevés ont compliqué la donne.
— Ces récents développements ne vont-ils pas pousser à une reprise des négociations sur le nucléaire ?
— La situation actuelle tendue dans la région n’est pas propice à la reprise de l’accord nucléaire dit JCPOA, signé en 2015 entre l’Iran et le groupe 5+1 (Etats-Unis, France, Angleterre, Russie, Chine et Allemagne). Un retour aux négociations est possible mais pas prochainement.
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