
L'alliance des deux pays réussira-t-elle à casser l'épine des talibans ?
Photo:(Reuters)
A chaque époque ses obligations. Jadis frères ennemis, l’Afghanistan et le Pakistan sont aujourd’hui devenus de fidèles alliés face à un défi commun : la menace talibane. Samedi, le premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif, s’est rendu à Kaboul afin de discuter avec le président, Hamid Karzaï, la promotion du processus de paix afghan qui peine à prendre son envol à un an du retrait de l’Otan, à cause d’une tenace rébellion talibane qui aspire à reprendre le pouvoir par la force à l’aube de 2015. Dès la première minute, les deux chefs ont affirmé que cette visite vise surtout à «
améliorer les relations entre les deux pays ». Il s’agit de la première visite en près de 18 mois dans la capitale afghane pour un premier ministre pakistanais et donc de la première visite officielle de Sharif depuis sa victoire aux législatives de mai dernier. Ce déplacement revêt une importance particulière car il tombe dans un moment crucial. Outre l’approche de la date du retrait de l’Otan du sol afghan, la visite tombe au moment où les Etats-Unis faisaient pression sur Karzaï pour signer un traité encadrant le maintien de soldats américains après 2014, et aussi une semaine après le passage au Pakistan d’une délégation du Haut conseil afghan pour la paix, chargé d’établir des ponts avec les talibans afin de les convaincre d’initier des pourparlers avec Karzaï.
Le Pakistan est un acteur-clé du processus de paix en Afghanistan en raison de ses relations historiques avec l’insurrection talibane. Lundi, 4 policiers afghans ont été tués et 17 personnes ont été blessées dans un attentat commis par les talibans.
Face à ce mal qui va en s’agrandissant, on ne peut nier qu’Islamabad a fait récemment un clair revirement concernant sa stratégie envers son voisin afghan en cessant de le déstabiliser, voire en s’alliant à lui pour casser l’épine des rebelles. Lors de sa visite à Kaboul, Sharif a promis d’apporter « toute l’aide possible » pour relancer le processus de paix en Afghanistan. Une promesse largement saluée par Karzaï : « J’espère que nos relations atteindront un niveau qui permettra à nos deux pays de vivre en paix ».
Passant à l’acte, Sharif s’est engagé à faciliter une rencontre entre des émissaires afghans et l’ancien numéro 2 des talibans, le mollah Baradar, libéré en septembre par le Pakistan à la demande de Karzaï qui était en visite à Islamabad en août pour convaincre son voisin de faire pression sur les talibans pour discuter directement avec lui. En fait, le mollah Baradar a toujours été prêt à participer à des négociations de paix. Il a été libéré dans l’espoir de convaincre les talibans de discuter avec le pouvoir afghan. Pourtant, cette libération n’a eu aucun impact sur le processus de paix afghan car il est toujours assigné à résidence au Pakistan, au grand dam du gouvernement afghan. Samedi, Sharif a indiqué que l’accès à l’ancien responsable taliban serait désormais facilité. « Il est temps de prendre des mesures décisives pour aboutir à une paix durable », a promis Sharif.
Selon les experts, cette bonne volonté pakistanaise ne s’est manifestée qu’après l’arrivée de Sharif au pouvoir en mai. Depuis cette date, le pouvoir pakistanais a multiplié les gestes d’ouverture et de soutien à son voisin. Outre la libération du mollah Baradar, le Pakistan a libéré ces derniers mois 26 talibans afghans dans l’espoir de convaincre la direction des talibans de se joindre aux pourparlers de paix. Or, ces libérations n’avaient rien donné.
Echec du dialogue
Selon Mohamad Fayez Farahat, expert au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, ce revirement pakistanais est largement dû à l’échec de toutes les tentatives du dialogue avec les talibans depuis l’arrivée au pouvoir de Nawaz Sharif et même avant. « Le dialogue avec les talibans auquel a tant appelé Sharif depuis mai n’est plus possible après la mort par un drone américain du numéro un des talibans pakistanais, Hakimullah Mehsud, début novembre. De quoi avorter tout processus de négociations avec les rebelles qui jugent que le gouvernement pakistanais est responsable de sa mort », dit Farahat.
Deux autres facteurs étouffent toute tentative de dialogue avec les rebelles. Le premier est le choix d’un nouveau leader des talibans pakistanais, le mollah Fazlullah, plus dur que son prédécesseur et plus opposé à tout dialogue avec Islamabad, qu’il accuse d’être allié des Etats-Unis. Le second est la poursuite des tirs de drones américains qui tuent chaque jour des rebelles, alors qu’Islamabad reste bras croisés face à cette violation de ses frontières. Les rebelles ont déjà posé comme condition préalable à tout dialogue avec Islamabad l’arrêt de ces drones, et Nawaz Sharif a appelé Washington à arrêter ces tirs. Or, ses appels sont restés lettre morte.
Englouti dans un cercle vicieux, Islamabad n’a trouvé qu’une option, former un front uni avec son voisin pour casser l’épine des talibans. Pour les deux pays, l’unique espoir serait désormais d’initier les talibans afghans au dialogue afin d’encourager leurs confrères à Islamabad de suivre leurs traces ou au moins les diviser. Or, même cette hypothèse reste lointaine car les insurgés afghans refusent de s’engager dans des pourparlers avec Karzaï, qu’ils accusent d’être une « marionnette » des Etats-Unis.
Reste à se poser une question : si toutes ces initiatives de dialogue avec les insurgés sont acculées à l’impasse, comment pourra-t-on dissiper un cauchemar taliban allant crescendo ? A cette heure, la seule option sera de confronter la violence par la violence : « Kaboul et Islamabad — avec l’aide de Washington — vont enfin recourir à la force en tuant les rebelles et en contrôlant fermement leurs frontières poreuses pour empêcher les rebelles de passer de part et d’autre des frontières », estime Farahat. A la lumière de ce cercle infernal, l’avenir du « cimetière afghan » demeure lourd de menaces.
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