Avec l’approche de la date du retrait des troupes internationales de l’Otan (Isaf) du «
cimetière afghan » fin 2014, une vague d’inquiétude pèse sur l’avenir de ce pays. Encore fragile, l’Afghanistan fera bientôt ses premiers pas dans le monde de l’indépendance à la lumière d’une grave montée talibane.
Dernièrement, la publication successive de plusieurs rapports internationaux a mis le feu aux poudres. Alors qu’un rapport publié il y a deux semaines affirme un possible retour des talibans au pouvoir après 2014, un deuxième rapport publié cette semaine par l’International Crisis Group (ICG) maintient que le régime afghan pourrait s’effondrer avec le départ des troupes de la coalition.
Selon ce récent rapport, la police et l’armée afghanes seront « dépassées et insuffisamment préparées pour la transition sécuritaire ». L’ICG a ainsi appelé le président Hamid Karzaï à se retirer comme prévu en 2014 sans chercher à peser sur l’élection présidentielle pour éviter de précipiter la fin d’un régime.
Effet domino ?
Après deux mandats de cinq ans, Karzaï ne peut constitutionnellement pas se présenter une troisième fois à la présidentielle de 2014. D’autres analystes évoquent une dimension plus large de la crise afghane après 2014, pronostiquant que le retrait des troupes de la coalition pourrait déstabiliser plusieurs pays d’Asie centrale. « Les attentats en Asie centrale et en Russie se multiplieront après le départ de la coalition. Cette tendance pourrait se propager en direction de l’Asie centrale pour finir, malheureusement, par déstabiliser les anciennes républiques soviétiques dans cette région », pronostique le directeur de recherche en charge de la Russie à la Heritage Foundation.
Rejetant ces rapports qui réduisent en miettes les efforts déployés par l’Otan pendant plus d’une décennie, l’Onu, l’alliance atlantique et même Kaboul ont qualifié ces pronostics d’« absurdes ». « Notre nation n’est pas née en 2001 quand la coalition de l’Otan a chassé les talibans du pouvoir. Nous avons une très longue histoire. Nous avons combattu des superpuissances. Nous savons comment défendre notre pays », s’est insurgé un porte-parole de la présidence afghane. Selon lui, Kaboul pourra toujours compter sur un soutien « honnête et sincère » de la communauté internationale après 2014.
Quant aux responsables de l’alliance atlantique, ils ont affirmé avoir confiance dans le fait que « les forces de sécurité afghanes seront capables de sécuriser le pays en 2014 et au-delà, notamment grâce aux capacités croissantes de la police, de l’armée et des autorités afghanes », a déclaré Dominic Medley, porte-parole de l’Otan en Afghanistan.
Un après-2014 risqué
Dans une tentative de calmer les inquiétudes internationales, les ministres de la Défense des 28 membres de l’Otan étaient réunis à Bruxelles, cette semaine, avec leurs 22 partenaires au sein de l’Isaf, pour tracer les grandes lignes de ce que devrait être la mission de l’Alliance dans ce pays après 2014. « Nous nous réunissons pour réaffirmer notre engagement pour un Afghanistan fort, stable et solide », a déclaré le secrétaire général de l’Otan, Anders Fogh Rasmussen.
Pour donner du sang nouveau à l’Alliance, le secrétaire américain à la Défense, Leon Panetta, a annoncé lors de la réunion la nomination d’un nouveau commandant pour les forces de l’Otan en Afghanistan : le général Joseph Dunford, actuel numéro deux du corps des marines. Il succédera au général John Allen qui assumera désormais le commandement suprême de l’Otan en Europe. Ce dernier continuera cependant à superviser le dossier afghan.
Le général Dunford aura la tâche difficile d’achever la stratégie de retrait progressif des troupes internationales au fur et à mesure que les forces afghanes prendront la responsabilité de la sécurité sur l’ensemble du territoire. Selon les experts, cette nomination confirme la prééminence des Etats-Unis dans la gestion du conflit afghan, qui a coûté la vie à plus de 2 000 soldats américains en une décennie. Elle intervient alors que la période actuelle est jugée « critique » après le départ de 33 000 soldats américains arrivés en renfort en 2010, le départ d’autres troupes de l’Isaf et la multiplication des attaques des talibans.
Soucieux de définir la mission des forces de coalition après 2014, les pays réunis ont affirmé que des troupes — qui atteindraient de 10 000 à 20 000 hommes — auraient la tâche de « former, conseiller et soutenir l’armée et la police afghanes à partir de 2015 ». Elles ne s’occuperont ni de la lutte contre le terrorisme, ni de contre-insurrection, ni de la répression du trafic de drogue.
« Cette mission ne sera pas une mission de combat », a précisé M. Rasmussen. « Son objectif est de s’assurer que l’Afghanistan ne sera plus jamais un repaire pour les terroristes », a-t-il ajouté.
Lors de la réunion, les Etats-Unis ont pour la première fois manifesté leur agacement, jugeant leur contribution aux forces de l’Otan « disproportionnée ». Aussi, Leon Panetta a-t-il fermement invité ses alliés à combler le déficit actuel — 58 équipes sur les 460 prévues — et à modifier le calendrier des rotations, avec des déploiements plus longs. Répondant à l’appel américain, six pays ont annoncé leur intention d’appuyer la mission de l’Otan : l’Australie, la Finlande, la Géorgie, la Nouvelle-Zélande, la Suède et l’Ukraine.
Augmentation des attaques
Maints défis entravent la mission de l’Otan pour la période à venir, dont l’augmentation des attaques talibanes. Depuis le début de l’année, 53 soldats ont été tués par des insurgés infiltrés au sein des forces de sécurité. Samedi , la mort de deux soldats de l’Otan et de quatre soldats afghans lors d’un attentat dans le sud du pays a encore alourdi le bilan.
Outre ces attaques talibanes, une difficulté de plus vient alourdir la mission de l’Alliance, celle de répondre aux demandes de Moscou, qui menace de « cesser de coopérer » avec l’Otan si cette dernière n’obtient pas de nouveau mandat du Conseil de sécurité de l’Onu pour sa mission de formation après 2014.
Une partie des équipements militaires de l’Alliance doit, en effet, transiter par la Russie lors des opérations de retrait. Selon Moscou, l’obtention d’un nouveau mandat du Conseil de sécurité — au sein duquel Moscou dispose d’un droit de veto — est une « condition préalable » à une bonne collaboration de son pays au-delà de 2014.
Malgré ces défis qui rendent le conflit afghan de plus en plus impopulaire dans les pays occidentaux, les responsables de l’Otan se sont employés à la fin de la réunion à convaincreque le processus de transfert des opérations de sécurité vers les forces afghanes se déroulera comme prévu.
Selon les experts, la guerre en Afghanistan fut pour l’Otan un vrai cauchemar : une guerre d’usure qui dure depuis plus de 11 ans. A cet égard, les signes d’échec abondent : les forces de l’Isaf ne sont pas parvenues à casser les talibans et les pertes militaires annoncées par la coalition dépassent 3 100 morts, dont plus de 2 100 Américains. Quant aux coûts mobilisés pendant cette décennie, ils sont de l’ordre de 573 milliards de dollars ... Tous ces efforts déployés n’auront pas suffi pour atteindre les objectifs fixés en 2001. L’échec de la guerre en Afghanistan fait de plus en plus consensus.
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