Malgré sa volonté de ne pas s’impliquer et ses intenses efforts diplomatiques avec ses partenaires américain et iranien notamment, l’Iraq ne parvient pas à s’extirper des tensions régionales. Au contraire. Le pays continue d’être le théâtre de frappes américaines ciblant des milices armées proches de l’Iran parallèlement aux attaques menées par ces groupes contre des cibles américaines ou des positions de la coalition internationale antidjihadiste. Des violences attisées par la guerre en cours contre Gaza et qui ne risquent pas de baisser d’intensité. En effet, Washington s’est engagé à poursuivre les représailles contre les groupes armés pro-Iran, après une attaque de drone le 28 janvier ayant tué trois soldats américains en Jordanie, à la frontière syrienne. Quant aux groupes armés pro-Iran, ils ont promis de poursuivre leurs attaques.
Dernière frappe américaine en date, celle de drone ayant visé, mercredi 7 février, un véhicule dans l’est de la capitale Bagdad. Bilan : trois morts, dont deux commandants des Brigades du Hezbollah iraqien. Le Commandement militaire américain pour le Moyen-Orient (Centcom) a confirmé avoir mené ce bombardement, assurant avoir tué « un commandant des Kataëb Hezbollah directement responsable de la planification et la participation aux attaques sur les forces américaines dans la région ». Et la réponse du groupe ne s’est pas fait attendre. « Pour le sang versé par nos commandants et nos combattants, la responsabilité en incombe à l’Amérique et à ceux qui refusent ou freinent le départ d’Iraq de ses forces d’occupation. Qu’ils sachent que notre nation n’abandonnera pas le sang de ses martyrs et que ses hommes sont toujours déterminés au combat », ont lancé les Brigades du Hezbollah, qui ont également affirmé la reprise des attaques anti-américaines, dont elles avaient annoncé la suspension il y a deux semaines. La « Résistance islamique en Iraq », dont les Brigades du Hezbollah font partie, a en outre appelé l’ensemble des milices à poursuivre leur action jusqu’au départ de « l’occupant ». Cette nébuleuse de combattants issus des groupes armés pro-Iran dit agir en soutien aux Palestiniens. Mais elle réclame surtout le départ des quelque 2 500 soldats américains encore déployés en Iraq dans le cadre de la coalition antiterroriste.
En effet, suite à l’attaque de mercredi 8 février, Faleh Al-Fayyad, chef du Hachd Al-Chaabi en Iraq, a affirmé que le « crime américain à Anbar » doit marquer « la fin des crimes commis par l’occupation américaine grâce aux efforts du gouvernement iraqien ». Car le Hachd Al-Chaabi est lui aussi une cible : quelques jours avant l’attaque du 7 février, des bombardements américains menés dans des zones à la frontière avec la Syrie ont tué 16 combattants du Hachd Al-Chaabi, coalition d’anciens paramilitaires pro-Iran intégrée à l’appareil sécuritaire de l’Etat iraqien et regroupant les factions armées pro-Iran.
Mais au-delà de la réaction des milices iraqiennes, c’est le gouvernement de Bagdad qui commence à voir d’un mauvais oeil ces attaques menées sur son sol. Dans un communiqué, les autorités iraqiennes ont condamné « une opération d’assassinat », s’en prenant à la coalition déployée en Iraq et en Syrie pour lutter contre Daech. « Cette voie pousse plus que jamais le gouvernement iraqien à mettre fin à la mission de cette coalition, qui est devenue un facteur d’instabilité en Iraq et menace d’entraîner l’Iraq dans un conflit » régional, a déploré le général Yehia Rasool, porte-parole militaire du premier ministre, Mohamed Chia Al-Soudani. « La coalition internationale outrepasse totalement les raisons et les objectifs pour lesquels elle se trouve sur notre territoire », a fustigé le général Yehia Rasool. Dans un communiqué, le Cadre de coordination, majorité parlementaire rassemblant des partis pro-Iran qui ont nommé l’actuel gouvernement, a condamné les « attaques répétées » des forces américaines « contre la souveraineté iraqienne ». L’alliance accuse Washington d’avoir « franchi les lignes rouges en ciblant des forces régulières et des hommes ayant contribué à vaincre le terrorisme de Daech », en allusion aux anciens paramilitaires du Hachd Al-Chaabi, désormais officiellement intégrés à l’appareil sécuritaire étatique.
Le ras-le-bol de Bagdad
C’est dans ce contexte explosif qu’ont repris, dimanche 11 février, les négociations entre l’Iraq et les Etats-Unis sur l’avenir de la coalition internationale antidjihadiste deux semaines après s’être arrêtées. Fin janvier, Bagdad et Washington ont engagé des discussions sur l’avenir de la coalition internationale antidjihadiste. Suspendues le lendemain, en réponse à l’attaque qui a eu lieu en plein désert jordanien, elles ont repris dimanche 11 février, selon les autorités iraqiennes. Cherchant une désescalade, Bagdad et Washington ont lancé des pourparlers fin janvier via une « Commission militaire suprême » conjointe. Le processus a été presque immédiatement suspendu lorsque, le 28 janvier, une attaque de drone a tué trois soldats américains en plein désert jordanien, à la frontière syrienne. Mais Bagdad n’entend pas baisser les bras. Jeudi 8 février, Soudani a réitéré que « l’insistance » iraqienne « pour une fin de mission de la coalition » dans son pays était motivée par le fait que les forces de sécurité avaient « acquis des capacités avancées dans la lutte contre le terrorisme ».
A ce stade, les discussions visent à évaluer le danger que représente Daech, mais aussi « l’environnement opérationnel » et « les capacités des forces armées iraqiennes », rappelle le général Yehia Rasool dans son communiqué. « Sur la base de ces réunions, un calendrier sera élaboré pour une réduction étudiée et progressive » des troupes, « jusqu’à la fin de la mission des forces de la coalition internationale anti-Daech », ajoute le communiqué. « Tant que rien ne vient perturber la sérénité des pourparlers, des réunions auront lieu régulièrement pour achever les travaux de la commission le plus rapidement possible ». Bagdad entend obtenir un calendrier de diminution des effectifs, même si les partenaires de l’Iraq se montrent plus prudents dans la terminologie utilisée.
L’Iran en toile de fond
Or, le gouvernement iraqien, porté au pouvoir par une coalition de partis chiites pro-Iran et une majorité parlementaire incluant le Hachd qui dispose de députés depuis 2018, est dans une position délicate. Face à la multiplication des attaques contre les troupes américaines ces dernières semaines, il se sent pris entre deux feux.
Depuis la mi-octobre, les soldats américains et ceux de la coalition antidjihadiste ont essuyé 165 frappes de drones et tirs de roquettes contre leurs positions en Iraq et en Syrie. Mais pour Washington, l’attaque du 28 janvier est un tournant. L’Iran, allié des milices chiites armées, a été pointé du doigt, mais il a démenti toute implication dans ce raid qui n’a pas été revendiqué. Selon les analystes, les Brigades du Hezbollah sont l’un des groupes les plus liés à l’Iran. Et pour preuve, leur ancien chef, Abou Mahdi al-Muhandis, a été tué en 2020 dans une frappe américaine à Bagdad aux côtés du puissant général iranien Qassem Soleimani, dont il était le bras droit iraqien.
Pourtant, les milices armées chiites, créées en pleine présence de Daech, ont épaulé les forces iraqiennes contre le groupe terroriste. Ensemble, aux côtés de la coalition antidjihadiste emmenée par Washington, elles ont contribué à la défaite infligée à Daech en 2017 par l’Iraq. Or, après la défaite de Daech, elles se sont tournées vers l’Iran et ont adopté un langage anti-américain. Et depuis, Bagdad, à la fois l’allié de Téhéran et de Washington, est continuellement en train de jouer l’équilibriste.
L’Iran, de son côté, entend montrer qu’il est bel et bien présent et influent. Téhéran n’a pas manqué de réagir après l’attaque du 7 février. S’adressant aux ambassadeurs en poste à Téhéran à l’occasion du 45e anniversaire de la Révolution islamique, le président iranien, Ebrahim Raïssi, a déclaré qu’il n’y avait pas de « justification » au maintien de troupes américaines au Moyen-Orient, où elles représentent « une menace pour la sécurité ».
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