Al-Ahram Hebdo : Un premier round de discussions a débuté cette semaine entre Bagdad et Washington afin de définir une feuille de route pour mettre fin à la mission de la coalition internationale de lutte anti-Daech en Iraq et Syrie. Un retrait américain d’Iraq serait-il proche ?
Leena Madhloom : Non je ne pense pas. Les Etats-Unis ne vont pas quitter l’Iraq facilement, compte tenu des événements actuels et des évolutions régionales. Même si, au terme de mois de discussions, un retrait ou une réduction des effectifs de la coalition internationale a lieu, il y aura toujours une sorte de présence militaire et sécuritaire américaine en Iraq. En outre, la tenue de ces négociations dans ce contexte régional actuel constitue une victoire politique pour l’Iran. La question est de savoir si Washington va accepter cela. Personnellement, je pense que non. Les Etats-Unis ne vont pas répéter le fiasco du scénario afghan.
— A quoi peuvent donc aboutir ces discussions ?
— Ce n’est pas la première fois que l’on évoque un retrait des forces américaines. Une feuille de route a déjà été proposée à plusieurs reprises dans le passé et n’a abouti à rien. Or, avec les répercussions des événements de Gaza et le fait que l’Iraq s’est trouvé impliqué dans le bras de fer entre l’Iran et les Etats-Unis, le premier ministre iraqien, qui est dans une situation critique, surtout après les frappes américaines en Iraq, veut apaiser la colère à l’intérieur, notamment auprès des partis pro-Iran. En même temps, il veut maintenir un certain équilibre entre les différentes parties.
— Vous venez de le mentionner, les répercussions de la guerre contre Gaza se font sentir en Iraq. Ceci risque-t-il d’avoir des retombées néfastes sur l’Iraq ?
— En effet, l’Iraq n’est pas épargné par l’impact de cette guerre. Au contraire, les répercussions sont profondes, et ce, pour plusieurs facteurs. Premièrement, la situation géographique de l’Iraq. Deuxièmement, et cela est plus important, l’enjeu politique. L’Iraq est, avec le Yémen et le Liban, politiquement proche de l’Iran. C’est pour cela que ces trois pays se trouvent impliqués d’une manière ou d’une autre dans le conflit actuel. De plus, depuis 2003, date de l’invasion américaine en Iraq, plusieurs parties qui ont des intérêts se chevauchent en Iraq. La Turquie au nord, qui tente de freiner le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). L’Iran, qui a reçu l’Iraq comme un cadeau historique de l’occupation américaine. Et certainement les Etats-Unis qui récupèrent le coût de leur invasion de l’Iraq. Et, finalement les organisations terroristes qui occupaient de nombreuses villes d’Iraq, elles ont été largement affaiblies depuis 2015 par les frappes de l’armée iraqienne, soutenue par la coalition, menées depuis pour les éradiquer, mais elles n’ont pas totalement disparu. Il est vrai que la coalition a réussi à traquer des dirigeants de Daech dont certains sont morts et d’autres ont pris la fuite, mais le terrorisme n’est pas pour autant éradiqué. Il y a toujours de nouveaux éléments de Daech dans certaines régions d’Iraq et de Syrie. Il existe toujours des cellules cachées et prêtes à mener des frappes en Iraq ou ailleurs.
Tout cela explique pourquoi l’Iraq est profondément influencé par la guerre à Gaza. Il se retrouve impliqué dans une bataille dans laquelle il n’est pas partie prenante. Ni Téhéran ni Washington ne veulent entrer dans une guerre directe. Mais ils se font face de manière indirecte. Et comme c’est le cas depuis 2003, l’Iran domine la terre par ses milices en Iraq, les Etats-Unis dominent l’air à travers leurs frappes aériennes.
Al Hachd al-Chaabi est une coalition de milices chiites iraqiennes soutenue par l’Iran.
— L’Iraq a déjà frôlé la guerre civile en raison des divisions internes. Ces divisions vont-elles s’intensifier avec les événements en cours ?
— L’état de division s’est en effet accru dans le pays. Certaines parties rejettent de plus en plus l’influence iranienne et revendique une vraie indépendance du pouvoir de la décision iraqienne vis-à-vis de l’Iran qui implique l’Iraq dans ses conflits. D’autres voient en la présence américaine le seul moyen de freiner l’influence iranienne dans le pays. Et certainement, les groupes pro-iraniens en Iraq sont toujours pour cette présence iranienne. Donc, plus de tensions entre Washington et l’Iran aggraveront sans doute la situation en Iraq.
— Washington va-t-il avoir recours à plus de pressions économiques ?
— Certainement que oui. Washington les a déjà utilisées il y a plusieurs mois lorsque la Réserve fédérale américaine a mené des examens sévères et a imposé des conditions strictes aux transactions bancaires en dollars, ce qui a conduit à une crise de devises dans le pays. Washington voulait empêcher les milliards de dollars introduits clandestinement en Iran à travers les partis pro-iraniens en Iraq pour contourner les sanctions américaines contre Téhéran. Les Etats-Unis ont même fermé des compagnies comme Fly Company, l’accusant de transférer des fonds aux milices iraniennes. Donc, avec les tensions en cours, Washington va imposer plus de conditions sur les échanges en devises, ce qui influencera certainement la situation économique en général dans le pays.et comme d’habitude, ce sont les Iraqiens qui paient la facture.
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