L’image a fait le tour du monde tant elle était inattendue. Elle est entrée dans les annales. On est sur la pelouse de la Maison Blanche, un certain 13 septembre 1993. Bill Clinton, le président américain de l’époque, encercle de ses bras Yitzhak Rabin, alors premier ministre israélien, et Yasser Arafat, le célèbre leader de l’Organisation de Libération de Palestinien (OLP). Les deux hommes, ennemis jurés depuis la création d’Israël sur les terres de la Palestine historique, se serrent la main, sourire aux lèvres. Une poignée de main historique, dira-t-on dans les jours qui suivent. Au total, la cérémonie a duré une heure devant une assistance de quelque 3 000 personnes. Le ton était à l’émotion et à l’espoir … Pour arracher cette poignée de main, des négociations secrètes sont menées à Oslo en Norvège (d’où le nom Accords d’Oslo) entre janvier et août 1993, dans une discrétion absolue. Le 10 septembre, Israël reconnaît l’OLP comme représentant du peuple palestinien. Le 13, est signée, à Washington, une « déclaration de principes sur des arrangements intérimaires d’autonomie ». L’ébauche d’un règlement avait pourtant commencé deux années auparavant, lors de la Conférence de Madrid de 1991, considérée à l’époque comme un triomphe de la diplomatie mondiale. C’était l’âge d’or du multilatéralisme post-Guerre Froide, dont les tensions semblaient appartenir au passé. On pensait possible un monde meilleur qui unissait d’anciens rivaux. Et la guerre du Golfe avait changé la donne dans la région.
Un trop-plein d’optimisme
L’événement est d’une ampleur historique : Israéliens et Palestiniens font la paix ! Une entente inattendue, fruit de longs mois de négociations secrètes et intenses, qui vient donner naissance à un rêve, celui d’une paix durable au Proche-Orient. « Le gouvernement de l’Etat d’Israël et l’équipe de l’OLP (…) représentant le peuple palestinien sont d’accord qu’il est temps de mettre fin à des décennies de confrontation et de conflit, de reconnaître leurs droits légitimes et politiques mutuels, de s’efforcer de vivre dans la coexistence pacifique (…) et d’aboutir à un accord de paix juste, global et durable ». De la « Déclaration de principes » devait naître une période intérimaire de cinq ans, un transfert progressif des territoires de Cisjordanie sous contrôle d’une autorité palestinienne nouvellement créée, puis un Etat palestinien. Il n’en fut rien.
Le désenchantement est tel que l’anniversaire est quasiment passé sous silence. Le blocage est tel qu’on n’ose même pas se poser la question : que reste-t-il d’Oslo ? Encore moins celle : la paix est-elle encore possible ? Car tout porte à croire que non. Force est de constater qu’après trente ans, le processus de paix est mort. La réalité sur le terrain impose le constat d’échec. Il suffit de voir le tableau pour l’admettre : on est passé de quelque 250 000 colons en Cisjordanie en 1993 à près de 700 000 aujourd’hui. Les autorités israéliennes intensifient les restrictions et la répression à l’égard des Palestiniens. Un mur de séparation long de 500 kilomètres traverse la Cisjordanie, enracinant l’annexion des territoires palestiniens et rendant non viable un hypothétique Etat palestinien. Israël est dirigé par le gouvernement le plus à droite de son histoire qui affiche clairement son intention de ne pas faire le moindre pas alors que la droite ne cesse de répéter que les Accords d’Oslo sont le coeur du problème.
Une mort prédestinée
Ne reste-t-il donc d’Oslo qu’un souvenir venu d’un autre monde, d’une autre époque ? La triste vérité est que le processus de paix est mort bien avant, très vite après sa naissance. Très vite, le ton est donné et l’optimisme cède la place à la violence. Le 25 février 1994 a lieu le massacre de la mosquée d’Ibrahim à Hébron, Al-Khalil de son nom arabe. Un juif extrême tue 29 Palestiniens musulmans en pleine prière et en blesse une centaine. Les mouvements palestiniens répliquent par des attentats antiisraéliens. Mais le véritable point de non-retour est l’assassinat d’Yitzhak Rabin, le 4 novembre 1995, par un juif religieux d’extrême-droite. A l’époque déjà, Yasser Arafat reconnaît que le processus de paix est en difficulté car le projet était porté par les deux hommes.
Quelques années plus tard, dans les années 2000, c’est le véritable naufrage. Avec l’arrivée au pouvoir d’Ariel Sharon en Israël et le déclenchement de la deuxième Intifada, les espoirs de paix s’amenuisent. D’autant plus que les discussions de Camp David II, tenues en juillet 2000, se sont soldées par un échec. D’aucuns estiment que l’un des problèmes originels ait été de reporter les discussions sur les sujets qui fâchent. Yossi Beilin, l’un des négociateurs israéliens, le reconnaît luimême : l’erreur a sans doute été de renvoyer les questions les plus délicates et difficiles à la fin, alors qu’au début, il aurait peut-être été possible de faire des audacieux. En effet, les Accords d’Oslo étaient basés sur un principe simple : reconnaissance mutuelle, autonomie palestinienne pour cinq ans et un renvoi à l’issue de cette période des questions les plus complexes, les frontières permanentes des deux futurs Etats, le sort des réfugiés et le statut de Jérusalem. D’autres pensent que les textes étaient flous, ambigus et favorables à Israël. Par exemple, ils ne prévoyaient aucun arrêt de la colonisation de terres qui devaient pourtant être rendues aux Palestiniens. Autre facteur fatal, le désintérêt de la communauté internationale. Au fur et à mesure que se compliquait la situation entre Palestiniens et Israéliens, les parrains du processus de paix lâchaient l’affaire, à tel point qu’aujourd’hui, aucun acteur sérieux ne reparle du processus de paix, ni met en avant la feuille de route issue des Accords d’Oslo. Avec le temps, le contexte mondial a évolué, d’autres priorités ont pris le dessus …
Aujourd’hui, l’heure est à la désolation. L’impasse est totale. Les Palestiniens sont fragmentés, les Israéliens ont basculé dans un dangereux extrémisme. Quant aux jeunes des deux côtés, ils n’ont connu ni l’esprit d’Oslo, ni l’espoir de la paix. Trente ans après, que reste-t-il des Accords d’Oslo ? Guère plus qu’une photo : celle de la poignée de main historique.
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