Ce n’est pas la première fois que la France vit ce genre d’émeutes urbaines. Le pays a déjà connu de telles tensions, de la même ampleur, avec leur lot d’incidents, de voitures et de biens incendiés, de saccages, d’interpellations et d’arrestations. Au cours des deux dernières décennies, le même scénario s’est répété : des émeutes éclatent sporadiquement dans des cités des banlieues, généralement déclenchées par la mort ou la blessure d’un jeune par la police. D’ordinaire, ces émeutes ne durent pas plus d’une ou deux nuits. Mais cette fois, elles ont duré plus et se sont propagées à différentes villes françaises, loin de Nanterre, où a été tué mardi 27 juin le jeune Nahel, après un refus d’obtempérer. Chaque fois, les principales cibles sont les bâtiments publics, les écoles, les commissariats, les commerces, les voitures, etc.
C’était le cas ces derniers jours. Mais cette fois-ci, le goût est plus amer. Car il ne s’agit pas uniquement des violences routinières des banlieues des villes françaises, tristement connues pour leurs « Quartiers prioritaires de la politique de la ville », des cités Habitation à Loyer Modéré (HLM) abritant autrefois des immigrés, aujourd’hui des Français d’origine étrangère, parfois de la 3e ou 4e génération. Les récentes tensions interviennent dans un climat politique déjà crispé en France, depuis la contestation contre la réforme de la retraite que le gouvernement a fini par imposer. Et, en plus de l’aspect sécuritaire, ce sont les questions culturelles, migratoires et raciales qui reviennent à la surface.
La France a aussi reçu un rude coup : elle a été pointée du doigt par l’Onu qui a demandé à Paris, vendredi 30 juin, soit trois jours après la mort du jeune Nahel et le déclenchement des émeutes, de se pencher « sérieusement » sur les « problèmes de racisme et de discrimination raciale au sein de ses forces de l’ordre ». La sentence a été lancée par Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits de l’homme, lors du point de presse régulier de l’Onu à Genève. Les Nations-Unies se sont également dites préoccupées par les violences qui ont éclaté après la mort de l’adolescent de 17 ans, estimant qu’il est « crucial que la police respecte à tout moment les principes de légalité, de nécessité, de proportionnalité, de non-discrimination, de précaution et de responsabilité ». Une accusation « totalement infondée », bien que la vidéo du tir, diffusée quelques heures après l’incident, montre clairement des policiers sur le côté de la voiture, n’étant absolument pas menacés par son démarrage. Et, plus généralement, les études d’opinion semblent cependant démentir la position officielle française. Au premier tour de l’élection présidentielle 2022, 64 % des policiers et militaires ont voté pour l’extrême droite, selon l’institut de sondage Cluster 17. D’où le ton mixte de l’exécutif : tout en niant tout racisme ou toute discrimination chez la police, le président français, Emmanuel Macron, sa première ministre, Elisabeth Borne, et son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, ont tous trois, dans un premier temps, condamné l’acte du policier qui a tué le jeune Nahel. Le gouvernement a parallèlement dénoncé les scènes de violence « injustifiables » et « insupportables ».
Les banlieues, une longue et douloureuse histoire
Ce n’est pas la première fois que la France soit pointée du doigt à cet effet. Fin 2022 déjà, le Comité des Nations-Unies pour l’élimination de la discrimination raciale avait également exprimé « sa profonde préoccupation face au recours fréquent aux contrôles d’identité, aux interpellations discriminatoires, à l’application d’amendes forfaitaires imposées par la police ou les forces de l’ordre » et qui visent, selon le Comité, « de manière disproportionnée », en particulier les personnes d’origine africaine, d’ascendance africaine ou arabe, ainsi que les Roms. Plus récemment, les Etats membres du Conseil des droits de l’homme avaient ainsi exprimé, le 1er mai, leurs inquiétudes à l’égard des violences policières et de la discrimination raciale en France.
Comme chaque fois, les choses finissent par se calmer quelques jours après l’incident. Les émeutes urbaines baissent d’intensité jusqu’à disparaître. Le malaise, lui, plus profond, plus ancré, reste toujours là. Le phénomène des banlieues n’est pas nouveau en France. On les appelle les « cités », les « quartiers », un territoire périphérique de grands ensembles urbains avec des populations souvent issues des anciennes colonies françaises, indispensable pendant tout le XXe siècle, en particulier durant les Trente Glorieuses, problématique depuis les années 1980. Depuis, chaque embrasement rappelle les résultats peu concluants, pour ne pas parler d’échec, du modèle d’intégration à la française, à tel point que l’on parle parfois d’une cicatrice qui remonte au colonialisme, aux guerres passées et aux haines entretenues depuis, à laquelle s’ajoutent la drogue, le crime et les problèmes identitaires.
Et comme chaque fois, le principal gagnant est tout simplement l’extrême droite, championne dans l’art d’exploiter ce genre d’événements pour grignoter, à chaque élection, quelques points de plus.
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