Moins de suspense aux législatives qu’à la présidentielle. Pourtant, alors que l’attention a été davantage donnée à l’élection présidentielle turque et au fait que, pour la première fois de l’histoire du pays, un second tour va se tenir, les élections législatives ne manquent pas d’importance. Elles peuvent même jouer sur le second tour de la présidentielle.
En effet, la coalition au pouvoir menée par Erdogan, l’Alliance du peuple, a obtenu la majorité ; elle remporte 321 sièges sur 600. Soit 23 députés de moins que lors des élections générales de 2018. Malgré ce léger recul, la majorité du président Erdogan reste solide. Son principal allié, le Parti d’action nationaliste (MHP, extrême droite), conserve une cinquantaine de sièges. Tandis qu’un autre membre de l’alliance, le Nouveau parti social (YRP, islamo-nationaliste), né en 2018, a fait élire 5 députés. Le Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-nationaliste) de Recep Tayyip Erdogan, principale force au parlement depuis 2002, conserve sa place avec 267 élus. Mais l’AKP est le parti qui perd le plus de parlementaires (27) par rapport à la précédente législature.
Il y a aussi un léger rééquilibrage des forces en faveur de l’opposition. L’Alliance de la nation, de Kemal Kilicdaroglu, gagne 24 sièges pour atteindre les 213 députés. Dans le détail, 169 députés ont été élus sur les listes du Parti républicain du peuple (CHP, kémaliste), 44 sur celles du Bon Parti (iYi, droite radicale) et 2 pour le Parti de la félicité (SP, islamo-conservateur). Tandis que la gauche et le mouvement pro-kurde regroupés au sein de l’Alliance du travail et de la liberté se maintiennent à peu près au niveau de leurs résultats de 2018. 65 députés élus dimanche contre 65 il y a 5 ans. Il s’agit d’un scrutin proportionnel pour choisir les 600 députés qui siégeront pour cinq ans. Seuls les partis obtenant au moins 7 % des suffrages obtiennent des élus.
Avant les élections de 2018, la Turquie était un régime parlementaire. Le président était le chef de l’Etat et le pays était dirigé par le premier ministre. La réforme constitutionnelle de 2017 a transformé ce système parlementaire pour faire de la Turquie un régime présidentiel. L’opposition avait promis, en cas de victoire, qu’elle rétablirait le régime parlementaire.
« L’opposition turque avait de grands espoirs et voulait de grands bouleversements dans tous les domaines. Or, même si elle avait promis des solutions aux problèmes qui étouffent les Turcs sur les plans économique, politique et social, les Turcs ont décidé de garder le régime actuel et ne rien changer », explique Dr Mona Soliman, politologue, spécialiste de la Turquie.
Peut-on donc parler d’un échec de l’opposition, que ce soit aux législatives ou à la présidentielle ? En quelque sorte, oui. « Pour tenter d’en finir avec le président Erdogan, et pour ne pas disperser les voix, les grands partis de l’opposition se sont unis en choisissant Kemal Kilicdaroglu. Quant aux législatives, l’opposition a insisté sur le choix des personnes les plus charismatiques et les plus populaires. Mais, les résultats étaient choquants pour l’opposition, puisque le Parti de la justice et du développement, au pouvoir depuis 20 ans, a remporté les élections et a remporté plus du tiers des sièges », estime Soliman.
Une possible cohabitation ?
Grâce à l’alliance formée avec le Parti d’action nationaliste (MHP), le Nouveau parti du bien-être et le Parti de la Grande Union, l’AKP devrait garder la majorité au parlement. Le bloc d’opposition de six partis, l’Alliance de la nation, a obtenu 214 députés. Insuffisant pour organiser un référendum pour changer la Constitution et revenir à un régime parlementaire pour réaliser leurs promesses électorales.
« L’opposition est déçue de ces résultats car elle ne pourra pas réaliser ses promesses électorales », estime l’analyste. Or, la question est aujourd’hui de savoir quelle sera la situation si Kemal Kilicdaroglu remporte le second tour. Si la probabilité reste minime, elle ouvrira la voie à une cohabitation. Une nouveauté en Turquie. « Pour certains analystes, ces résultats peuvent pousser les Turcs à élire le candidat de l’opposition, Kemal Kilicdaroglu, pour changer la politique de leur pays. Mais dans ce cas, la Turquie vivra ses jours les plus durs, car les différends et les tensions vont dominer la vie politique turque en raison de la cohabitation », explique Dr Mona Soliman. Et de conclure : « Il est vrai qu’après la réforme constitutionnelle de 2017, le président a tous les pouvoirs, mais le parlement doit approuver ses décisions. Alors, on doit avoir une certaine harmonie entre le président et le parlement, sinon, ce dernier refusera toutes les décisions présidentielles ».
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