Le président sud-coréen, Yoon Seok-youl, à Tokyo, avec le premier ministre japonais, Fumio Kishida. Une rencontre jugée « historique ». (Photo : AP)
Jeudi 16 mars, le président sud-coréen, Yoon Seok-youl, est arrivé à Tokyo pour une rencontre historique avec le premier ministre japonais, Fumio Kishida. En froid depuis la colonisation japonaise (1910-1945), les chefs d’Etat sud-coréens et japonais ne s’étaient pas rencontrés officiellement depuis 12 ans. Les deux nations cherchent désormais à réparer leurs relations face à un contexte de menaces grandissantes dans la région. « La Corée du Sud et le Japon ont de plus en plus besoin de coopérer en cette période de polycrise où les menaces nucléaires et balistiques de la Corée du Nord s’intensifient », a soutenu la veille le président sud-coréen dans un entretien avec plusieurs médias, dont l’AFP.
Et ce n’est peu dire. A quelques heures de l’arrivée du président sud-coréen à Tokyo, la Corée du Nord a tiré un énième missile ICBM (balistique intercontinental) en direction de la mer du Japon. Le troisième en une semaine, alors que Séoul et Washington entreprennent des exercices militaires conjoints « Freedom Shied » dans le Pacifique. Une façon de protester contre les manoeuvres militaires au Pacifique et le possible avènement d’un front uni contre elle dans la région.
En effet, en cherchant à réparer leurs relations, Séoul et Tokyo cherchent aussi à mieux coordonner leurs réponses politiques et militaires face aux tensions grandissantes dans la région: le programme balistique nord-coréen, bien sûr, mais aussi l’expansionnisme militaire chinois. Pour Tokyo, qui a repris récemment la voie de la militarisation, cette rencontre est aussi le moyen de renforcer son partenariat de défense avec Séoul et Washington contre la Chine, à la manière de la Corée du Sud qui réalise dans le Pacifique des manoeuvres militaires conjointes massives avec les Etats-Unis.
Souvent en désaccord sur la conduite à tenir envers Pyongyang et Pékin, les deux grands alliés des Etats-Unis dans la région pourraient donc à l’avenir mieux coordonner leur réponse politique et militaire sur ces deux dossiers, et ainsi renforcer la relation de défense trilatérale militaire entre Tokyo, Séoul et Washington dans le Pacifique.
Dangereux jeux d’alliances
En effet, si Pyongyang inquiète, la menace militaire chinoise s’est renforcée depuis le conflit ukrainien et le rapprochement de la Chine avec la Russie. Et, comme les pays européens face à l’invasion de leur voisin, les armées et les alliances du Pacifique se réorganisent et verrouillent le prisme militaire entre les pays du Pacifique, inquiets d’une possible invasion de Taïwan par la Chine.
Face à une Chine qui est devenue la première flotte mondiale et qui affiche ses ambitions, le Japon a annoncé un plan quinquennal portant le budget de l’armée à 313 milliards de dollars, soit 2% du PIB. De leur côté, les Etats-Unis redéploient leurs forces et réactivent tout un réseau de partenaires dans la région indopacifique, désigné en 2022 comme le nouvel épicentre des rivalités commerciales, politiques et militaires avec la Chine.
Avec la menace d’une invasion par la Chine de Taïwan, Washington a, depuis un an, réactivé d’anciennes alliances tout autour de l’océan Pacifique et l’océan Indien. Parmi les plus anciennes se tient le QUAD, réunissant les Etats-Unis avec l’Inde, le Japon et l’Australie, mais aussi l’alliance avec les Philippines. Le mois précédent, le secrétaire d’Etat américain, Lloyd Austin, annonçait un accord avec les Philippines permettant l’accès des forces américaines à quatre bases militaires supplémentaires sur l’île, en plus des cinq qu’elles utilisent déjà.
Mais Washington a su également en créer de nouvelles. Avec la Corée du Sud, mais aussi, en 2021, avec le Royaume-Uni et l’Australie à travers la signature d’un accord de défense et d’armement tripartite (AUKUS). Cet accord vient d’ailleurs tout juste de se concrétiser. Le 13 mars, Washington et Londres ont annoncé déployer 8 sous-marins nucléaires depuis l’Australie, stratégique par sa position dans le Pacifique.
Si Pyongyang a réagi en accélérant les tirs de missiles balistiques cette semaine, la Chine, elle aussi, s’est organisée face aux alliances qui cherchent à contenir son expansion. Sur Twitter, la mission diplomatique chinoise auprès des Nations-Unies avait dénoncé l’accord relatif aux sous-marins nucléaires positionnés en Australie comme « un acte flagrant qui pose de graves risques en matière de prolifération nucléaire, sape le système international de non-prolifération, encourage la course à l’armement et nuit à la paix et à la stabilité de la région ». Le 13 mars, à la clôture de la session parlementaire de l’Assemblée nationale, Xi Jinping a appelé son armée à devenir « une grande muraille d’acier » tout en intensifiant davantage les efforts de militarisation du pays. « La nation chinoise s’est affirmée, elle s’est enrichie et elle est devenue forte (...) La grande renaissance de la nation chinoise a amorcé un processus historique irréversible », a-t-il continué, en renforçant le doute sur une possible « réunification » avec Taïwan.
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