Etats-Unis,
De notre correspondant —
Al-Ahram Hebdo : Le président américain, Joe Biden, a semblé pencher vers un désengagement du Moyen-Orient. Mais sa prochaine tournée montre le contraire. Pourquoi ce revirement ?
Mac Sharkawy : La guerre qui oppose la Russie à l’Ukraine et à l’Otan fournit la réponse. Outre les conséquences géopolitiques de cette guerre, ses retombées économiques sont les plus immédiates, notamment la hausse des prix des carburants qui accentue l’inflation aux Etats-Unis. Aussi, en considérant un désengagement du Moyen-Orient, les Etats- Unis ont vu leur place dans la région occupée par leurs ennemis et concurrents, notamment la Russie et la Chine, surtout sur le plan économique.
Notons à ce propos le coup de maître du chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, qui s’est récemment réuni à Riyad avec ses homologues du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) pour poursuivre leur coopération dans le cadre de l’accord Opep+ (ndlr : cartel des pays exportateurs de pétrole codirigé par Moscou et Riyad). Pour les Etats-Unis, cette démarche a tiré une sonnette d’alarme pour restaurer leurs relations avec leurs alliés au Proche-Orient avant qu’il ne soit trop tard. Etant donné que dans le cadre des bouleversements sur l’échiquier géopolitique, les Etats- Unis, un partenaire stratégique des pays du Golfe depuis huit décennies, perdent pour la première fois du terrain à l’avantage de la Russie.
Cela dit, la tournée régionale du président Biden, intervient avant tout pour des raisons économiques : il devrait chercher à obtenir des Saoudiens une augmentation de leur production de pétrole, afin d’arrêter l’inflation et la hausse des prix à la pompe dans son pays, où vont se dérouler les élections législatives de mi-mandat en novembre. Un scrutin à risque pour le parti démocrate de Biden.
— Quels sont les effets de la crise ukrainienne sur le monde arabe ?
— Il est très clair que les répercussions de la guerre de la Russie contre l’Ukraine sont multidimensionnelles et dangereuses, et ne se limitent pas aux seuls domaines militaires et humanitaires.
Sur le plan économique, un grand nombre de pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord dépendent des importations alimentaires et énergétiques, ce qui les rend vulnérables aux chocs économiques provoqués par la crise ukrainienne. Malheureusement, la hausse des prix de l’énergie aura un impact sur les coûts de transport et, par conséquent, sur les prix des matières premières en général, ce qui entraînera des vagues inflationnistes susceptibles de déstabiliser des économies déjà fragiles. De plus, la hausse des prix des carburants obligera les pays non exportateurs de pétrole à faire flotter leur monnaie, ce qui entraînera une baisse des revenus des particuliers et une détérioration des conditions de vie. Il n’est pas improbable que la région témoigne d’une nouvelle vague de troubles sociaux, voire de conflits, en raison des difficultés économiques et de l’incapacité des gouvernements à y faire face.
Sur un autre plan plus large, les problèmes et les crises de la région, comme l’effondrement de l’économie libanaise, le conflit au Yémen, la crise libyenne, la menace croissante de famine en Syrie ou la catastrophe humanitaire au Yémen ... passeront très probablement au second plan aux yeux des acteurs internationaux et des organisations onusiennes concernées, désormais occupés par la crise ukrainienne.
— Quelle est la place du conflit israélo-palestinien dans cette prochaine visite du président américain ?
— La principale préoccupation des Etats-Unis c’est de faire intégrer Israël dans la région du Moyen- Orient, à travers des accords de paix et des relations directes avec ses pays voisins par le biais de structures comme le Forum du gaz de la Méditerranée orientale, ou d’autres formes de coopération, dans le nord de la mer Rouge par exemple, pour assurer la libre circulation terrestre, maritime ou aérienne. Ce qui fait obstacle à cette intégration, ce sont les agissements israéliens en matière de colonisation et de discrimination contre les Palestiniens, ainsi que la violation incessante des droits des Palestiniens et des lieux musulmans sacrés, que ce soit de la part du gouvernement israélien ou des extrémistes juifs.
— Comment voyez-vous les relations égypto-américaines actuelles ?
— Depuis l’arrivée au pouvoir du président Abdel-Fattah Al- Sissi, l’Egypte a réussi à établir avec les Etats-Unis des relations équilibrées, d’égal à égal, loin de toute subordination ou dépendance. N’oublions pas que Joe Biden a remercié l’Egypte et le président Sissi lors de la récente agression israélienne contre la bande de Gaza, les médias américains eux-mêmes ont réprimandé Joe Biden pour son retard à contacter le président Sissi.
Les fréquentes visites au Caire du conseiller présidentiel américain à la sécurité nationale témoignent de la place importante de l’Egypte comme interlocuteur et intermédiaire dans le règlement des crises dans la région. Les Etats-Unis et l’actuelle Administration américaine savent très bien que Le Caire possède la clé pour résoudre les crises au Moyen-Orient.
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