La tournée de Blinken vise à montrer que son pays ne se désintéresse pas de la région, même si l’attention américaine est portée vers la Russie et la Chine. (Photo : AFP)
Al-Ahram Hebdo : Depuis Jérusalem, le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a réitéré que son pays ne permettrait pas à l’Iran de se doter de l’arme nucléaire. Sa visite a-t-elle pour objectif de rassurer Israël alors qu’un accord sur le nucléaire semble proche ?
Dr Mona Soliman : Les Européens ont annoncé que l’accord nucléaire avec l’Iran est sur le point d’être signé. Et, il semble que cet accord sera une vraie victoire pour les Iraniens et va leur servir dans plusieurs domaines. Blinken a donc effectué cette tournée au Moyen-Orient et au Maghreb pour apaiser les alliés des Etats-Unis. Il leur a donné des promesses et, peut-être, des accords non révélés ont été signés. Par exemple, des aides financières et militaires à Israël et à d’autres pays. Les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite ont demandé depuis plusieurs mois d’acheter des armes lourdes, des avions militaires et d’autres équipements militaires. Il se peut que des deals en ce sens aient été faits.
— Quels sont les autres objectifs de sa tournée ?
— La tournée de Blinken a deux buts essentiels : envoyer un message à Téhéran que Washington peut rassembler tous les adversaires de l’Iran dans un seul camp, même si ces pays n’entretiennent pas entre eux de bonnes relations, comme l’Arabie saoudite et Israël. Washington veut dire à l ‘Iran qu’il demeure influent dans la région et qu’il peut former un fort front capable de l’affronter. Deuxième but : rapprocher les points de vue de ces pays et leur donner une opportunité d’unifier leur position. Washington s’est, ces dernières années, retiré politiquement du Moyen-Orient pour se concentrer dans ses différends avec la Russie, la Chine et la Corée du Nord. Avec cette tournée, les Etats-Unis veulent montrer qu’ils ne s’en désintéressent pas tant que ça, et qu’ils préserveront leurs intérêts.
— La guerre en Ukraine a-t-elle eu un effet accélérateur sur les négociations sur le nucléaire iranien ?
— Oui, en quelque sorte. Elle a accéléré les négociations et pressé les Occidentaux à présenter des concessions pour signer l’accord avec les Iraniens le plus vite possible. Car les sanctions imposées à la Russie n’ont pas affecté la Russie seulement, mais le monde entier. En même temps, les sanctions ne peuvent pas être levées avant la fin de la guerre. En matière d’énergie, l’Europe est dépendante à 40 % de la Russie. Elle doit donc trouver une alternative au gaz russe notamment. Et cette alternative, c’est l’Iran. De son côté, Téhéran est consciente que la guerre en Ukraine lui offre une opportunité et ne veut pas la rater. Alors, les Iraniens ont présenté des concessions dans leur programme nucléaire, mais en échange de la levée des sanctions. Téhéran pourra exporter son pétrole, son gaz naturel et ses produits énergétiques dès la levée des sanctions. Téhéran va récupérer les fonds gelés, plus de 145 milliards de dollars. Une somme qui peut résoudre bien des problèmes iraniens et relancer l’économie iranienne, asphyxiée par les sanctions occidentales.
— Mais pourquoi, alors que le contexte semble favorable à l’Iran, jeter de l’huile sur le feu en ce timing avec les attaques des Houthis, alliés de Téhéran, contre l’Arabie saoudite ?
— C’est une façon de tâter le terrain pour voir la réaction de la communauté internationale, notamment Washington. Une façon de forcer la conclusion d’un accord. Les Américains ont certes condamné les attaques, mais n’ont pas pris de mesure contre l’Iran. Les Iraniens veulent dire : on est toujours capables de causer des perturbations si l’accord n’est pas signé. Mais à mon avis, une fois que cet accord sera conclu, que les sanctions seront levées et que les Iraniens récupéreront les fonds gelés, l’heure sera à l’apaisement. L’Iran prendra un peu de temps pour arranger ses cartes et ses priorités. Téhéran se penchera d’abord sur ses questions internes, politiques et économiques, puis les questions régionales.
— La tournée de Blinken vise-t-elle aussi à rapprocher les Saoudiens et les Iraniens, malgré la question yéménite ?
— Au cours de l’année dernière, il y a eu des négociations indirectes et parfois directes entre Riyad et Téhéran pour régler quelques dossiers suspendus, surtout le rôle régional de l’Iran et son intervention dans les affaires internes du Liban, de la Syrie, du Yémen et de l’Iraq. Je pense qu’il est possible qu’après la signature de l’accord, une réunion se tienne entre les deux puissances.
— Et ce sommet entre Israël, les Etats-Unis et certains pays arabes, qualifié d’exceptionnel ?
— En effet, le secrétaire d’Etat américain a réussi, pour la première fois, à rassembler ces pays qui ont normalisé leurs relations avec Israël en sommet. Sans doute, les discussions ont porté sur la coopération sécuritaire.
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