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Russie-Occident : Comme au bon vieux temps …

Abir Taleb avec agences, Mardi, 11 janvier 2022

Alors que Moscou a prêté main forte au Kazakhstan pour rétablir l’ordre, les Russes ont entamé cette semaine des discussions sur l’Ukraine avec les Occidentaux. De quoi rappeler les tensions de la Guerre froide

Russie-Occident : Comme au bon vieux temps …
Le déploiement des troupes russes, dépêchées depuis jeudi 7 janvier, a été rendu possible grâce au mécanisme de défense de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC). (Photo : AFP)

Il est rare que le Kazakhstan, pourtant le plus grand pays d’Asie centrale, fasse parler de lui. Mais depuis plus d’une semaine, l’actualité dans ce pays, où la situation reste explosive suite aux émeutes déclenchées la semaine dernière, est en tête des unes. Tout a commencé le 2 janvier lorsque l’annonce d’une hausse du prix du gaz a déclenché une vague de colère inédite faisant des dizaines de morts, des centaines de blessés et des milliers d’arrestations. Véhicules calcinés, magasins pillés, bâtiments en flammes, Almaty, la capitale économique du Kazakhstan, porte encore les stigmates des émeutes. Vendredi 7 janvier, le président kazakh, Kassym-Jomart Tokaïev, a annoncé autoriser les forces de l’ordre à ouvrir le feu « sans avertissement », expliquant que les « terroristes continuent à endommager les biens et à utiliser des armes contre les citoyens ».

Le président kazakh a donc choisi la manière forte. Et il a eu recours à Moscou qui est venu épauler les forces de l’ordre kazakhes. « Je remercie tout spécialement le président russe, Vladimir Poutine. Il a répondu très rapidement, et surtout de manière amicale, à mon appel », a-t-il déclaré. En fait, le déploiement des troupes russes, dépêchées depuis jeudi 7 janvier, a été rendu possible grâce au mécanisme de défense de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC), fondée en 2002. Mais qu’est-ce que l’OTSC? Il s’agit d’une structure régionale créée au lendemain du démantèlement de l’Union soviétique, destinée à garantir la défense des Etats signataires. Surtout, c’est une version minimaliste du défunt pacte de Varsovie, une sorte de contrepoids de Moscou face à l’OTAN, expliquent les analystes, qui regroupe autour de la Russie cinq anciennes républiques soviétiques demeurées dans son « pré-carré » : la Biélorussie, l’Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan.

Ainsi, au-delà des développements internes au Kazakhstan, l’intervention russe soulève de nombreuses interrogations sur l’influence de Moscou sur les anciennes républiques soviétiques, toujours présente 30 ans après le démantèlement de l’URSS. Si la Russie a vite répondu à l’appel des autorités kazakhes, c’est d’abord parce que le Kazakhstan est le pays où les positions commerciales de la Russie sont les plus fortes dans la région. Les deux pays se partagent aussi une longue frontière de 7000km, juste une ligne en pointillé qui court à travers la steppe. Moscou a donc tout intérêt à préserver la stabilité de son voisin. Mais aussi, Moscou tente de récupérer son influence. Car depuis la chute de l’URSS, le Kazakhstan s’est rapproché de la Chine, mais aussi de la Turquie et même des Etats-Unis. Parallèlement, Nursultan (le nouveau nom donné à la capitale Astana en 2019, par le président Tokaïev en hommage à son prédécesseur et mentor), a ratifié, le 22 décembre 2021, un accord de sécurité avec Moscou axé sur la coopération dans les domaines de la cybersécurité, les renseignements et la lutte contre le terrorisme. En fait, depuis 30 ans, soit depuis la naissance de ce pays d’Asie centrale sur les ruines de l’ex-Union soviétique, l’ancien président kazakh, Nursultan Nazerbaïev menait une politique avec une ligne fondée sur un trépied équilibré: Russie, Occident et Chine.

La crise ukrainienne en discussion

Ces émeutes tombent donc à point nommé pour Moscou, pas pour Washington. « Une leçon de l’histoire récente est qu’une fois que les Russes sont chez vous, il est parfois très difficile de les faire partir », a mis en garde le secrétaire d’Etat américain, Anthony Blinken, lors d’une conférence de presse, vendredi 7 janvier à Washington. « Il me semble que les autorités et le gouvernement du Kazakhstan sont assurément en mesure de gérer de manière appropriée ces manifestations, de faire régner l’ordre, tout en respectant les droits des manifestants. Donc je ne comprends pas clairement pourquoi ils ressentent le besoin d’une aide extérieure », s’est également étonné Antony Blinken. Pas impossible, selon Dr Mona Soliman, professeure de sciences politiques, qui estime qu’« il est possible que les Kazakhs demandent aux Russes d’établir une base militaire permanente au Kazakhstan, et dans ce cas, la Russie aura deux bases en Asie centrale: une dans ce pays, et une au Tadjikistan, et ce, alors que la présence américaine n’est plus depuis le retrait d’Afghanistan ». Et d’ajouter: « Moscou estime que Kiev et Washington sont derrière les émeutes, afin de mettre la pression sur la Russie à l’ouest depuis l’Ukraine et au sud depuis le Kazakhstan, et ce, à la veille des négociations russo-américaines au sujet de la crise ukrainienne qui ont débuté lundi 10 janvier à Genève ». Des discussions qui seront suivies ce mercredi par une réunion OTAN-Russie à Bruxelles, puis ce jeudi à Vienne, une rencontre à l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), pour inclure les Européens qui redoutent d’être marginalisés.

En effet, les récents événements kazakhs interviennent dans un contexte de crise aiguë autour de l’Ukraine depuis des semaines. Occidentaux et Ukrainiens accusent les Russes d’amasser des dizaines de milliers de soldats à la frontière ukrainienne en vue d’une potentielle invasion, alors que la Russie exige un accord garantissant la fin de l’élargissement de l’Otan à ses portes. « Une solution diplomatique est encore possible et préférable, si la Russie choisit cette voie », a certes tempéré le chef de la diplomatie américaine. Mais le secrétaire général de l’OTAN s’est montré plus alarmant. « Le renforcement militaire de la Russie se poursuit autour de l’Ukraine et est accompagné d’un discours menaçant de Moscou si ses exigences ne sont pas acceptées. Or, elles sont inacceptables et le risque d’un nouveau conflit est réel », a déclaré Jens Stoltenberg, à l’issue d’une réunion en visioconférence avec les ministres des Affaires étrangères des pays de l’Alliance, vendredi 7 janvier. Car fin décembre, le Kremlin a rendu publiques deux propositions de traités engageant l’Otan à exclure toute adhésion future de l’Ukraine et à réduire ses forces près des frontières avec la Russie.

Préserver les zones d’influence

Trente ans après la chute de l’URSS, une chute qui a marqué la fin de la guerre froide, Moscou estime donc toujours devoir se protéger face à « l’hostilité » des Occidentaux et de l’OTAN. Pour preuve, lorsque les Ukrainiens ont déposé leur président pro-russe en 2014, la Russie a saisi puis annexé la péninsule méridionale de Crimée à l’Ukraine et les séparatistes soutenus par la Russie ont capturé de larges pans des deux régions orientales de l’Ukraine. Quelques années plus tôt, en 2008, l’armée russe a envahi la Géorgie pour empêcher le président pro-occidental, Mikheil Saakashvili, de reconquérir militairement le territoire géorgien sécessionniste d’Ossétie du Sud, un protectorat russe. Et aujourd’hui, la Russie vient au secours d’un Kazakhstan en crise. « Pour Moscou, il n’est question ni de laisser ce pays sombrer dans le chaos, ni de permettre une chute du régime, encore moins de laisser la fièvre des manifestations s’étendre à d’autres pays de la région. Car un tel scénario mettrait à mal son influence sur ces pays et constituerait une menace sécuritaire sur la Russie », explique l’analyste.

Plus globalement, la priorité absolue du président russe, Vladimir Poutine, est d’inverser le déclin post-soviétique de la Russie, notamment en stoppant l’avancée des puissances étrangères dans l’ancienne région soviétique car, pour Moscou, la manifestation la plus importante de ce déclin a été l’expansion de l’OTAN en Europe de l’Est, zone d’influence de Moscou. Le président russe, Vladimir Poutine, l’a dit: l’effondrement de l’Union soviétique est « la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle ». Une catastrophe qu’il oeuvre à corriger.

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