Al-Ahram Hebdo : Le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, vient d’effectuer sa première tournée africaine qui a compris le Kenya, le Nigeria et le Sénégal. Pourquoi ces trois pays spécifiquement ?
Amr Abdel Atti: Tout d’abord on doit noter qu’il existe actuellement une vraie tendance américaine à prêter une attention particulière à l’Afrique après une période de négligence par l’ancienne Administration américaine. En ce qui concerne le choix de ces pays, le secrétaire d’Etat américain a débuté sa visite par le Kenya, car c’est un allié de longue date des Etats-Unis. De plus, le président kényan, Uhuru Kenyatta, est un partenaire important dans la résolution de la crise éthiopienne, dans laquelle Washington tente de s’impliquer. Le président kényan s’est d’ailleurs rendu à Addis-Abeba la veille de la visite de Blinken. Pour ce qui est du Nigeria, ce pays présente aussi une importance pour Washington: c’est un grand producteur du pétrole, et donc un acteur influent dans le marché de l’or noir. Et en ce moment, Washington tente de faire pression sur les pays pétroliers pour produire plus et donc faire baisser les prix de l’énergie, car l’Administration Biden veut s’attirer la sympathie de la classe moyenne.
Quant au choix du Sénégal, il est significatif, car c’est un exemple démocratique, ce qui convient avec l’un des objectifs de la visite de Blinken qui est la démocratie en Afrique.
— Quels sont donc les enjeux de cette visite ?
— Comme on a déjà signalé, la démocratie est le grand titre de cette visite. Respecter les principes de la démocratie et la passation de pouvoir en Afrique est un objectif important, surtout avec les préparatifs d’une grande conférence sur la démocratie qui se tiendra le mois prochain aux Etats-Unis. De plus, Washington veut trouver une issue aux crises en Ethiopie et au Soudan. La crise éthiopienne met dans l’embarras Washington avec les violations des droits de l’homme. Et malgré les mesures prises par les Etats-Unis et les sanctions contre le pouvoir éthiopien, la crise se poursuit. Plus généralement, la nouvelle Administration américaine veut s’investir davantage en Afrique et renforcer ses relations avec les Etats africains.
— L’Afrique avait pourtant été négligée par l’ancienne administration, cela a-t-il été préjudiciable ?
— Oui bien sûr. Cette négligence, du temps de l’ex-président américain, Donald Trump, a contribué à l’exaspération des tensions avec l’Afrique. Ce qui a mis Washington dans l’embarras et a eu un impact négatif sur son influence dans le continent. En même temps, Pékin et Moscou sont devenus les vrais acteurs influents au continent. Aujourd’hui, Washington s’efforce de revenir sur scène et remédier aux erreurs de l’ancienne administration. L’Administration de Joe Biden compte des personnes à des origines africaines, ces derniers pressent pour améliorer les relations avec l’Afrique, ce continent prometteur qui renferme la plupart des ressources naturelles et des matières premières dont les Etats-Unis ont certainement besoin pour garder leur puissance économique.
— Mais les Etats-Unis peuvent-ils reconquérir l’Afrique face à leurs rivaux, notamment chinois et russe ?
— Le chemin est long et difficile. Les outils d’influence des Etas-Unis sont faibles, notamment face à la Chine. Cette dernière est le choix parfait pour tous les Africains : elle n’impose aucune condition aux Africains, contrairement aux Américains qui, à mon avis, continueront à imposer aux Africains leur vision de la démocratie et des droits de l’homme avant toute coopération économique, ce qui n’est pas acceptable pour la plupart des pays du continent. En outre, la Chine est profondément présente avec des projets de développement qui s’étendent sur 100 ans, par exemple. Côté militaire, la Chine et la Russie ont entamé de fortes relations militaires avec plusieurs pays africains .
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