
Macron est le premier président français né après l’indépendance de l’Algérie, et Tebboune le premier président algérien à ne pas avoir participé à la guerre d’indépendance.
En 2022, l’Algérie célèbrera le 60e anniversaire de son indépendance. Une indépendance arrachée après huit années d’une guerre qui a laissé ses traces aussi bien sur l’ancienne colonie que sur l’ancienne métropole. Soixante ans après, la mémoire de la « guerre d’Algérie », comme l’appellent les Français, la « révolution de libération », comme préfèrent la nommer les Algériens, est toujours pesante. Et fait régulièrement l’objet de crises entre Paris et Alger. La dernière en date a commencé il y a deux semaines lorsque la France a décidé de réduire de moitié le nombre de visas accordés aux Algériens — la décision concerne aussi le Maroc et la Tunisie (-30 %) —, et ce, pour faire pression sur ces pays pour qu’ils délivrent davantage de laissez-passer consulaires, document nécessaire pour tout renvoi de leurs ressortissants en situation irrégulière. Mais la crise s’est surtout envenimée lorsque le président français, Emmanuel Macron, a parlé, dans Le Monde, d’un système « politico-militaire » algérien qui entretiendrait une « rente mémorielle » en servant à son peuple une « histoire officielle » qui « ne s’appuie pas sur des vérités ». Des mots qui ne passent pas de l’autre côté de la Méditerranée. Alger a rappelé son ambassadeur et interdit son espace aérien aux avions militaires français volant vers le Sahel.
Et le président algérien de déclarer qu’un éventuel retour de l’ambassadeur d’Algérie en France est « conditionné au respect total de l’Etat algérien » par Paris. « L’histoire ne doit pas être falsifiée », a déclaré M. Tebboune dimanche 10 octobre à des médias algériens, dans sa première déclaration publique. Le gouvernement algérien avait dénoncé des « propos irresponsables » et une « ingérence inadmissible dans ses affaires intérieures ». Le ministre algérien des Affaires étrangères avait imputé ces crises diplomatiques avec son pays et avec le Mali à une « faillite mémorielle » de la part du président français. Une passe d’armes qui intervient dans un contexte très politisé en France avec l’élection présidentielle qui arrive à grands pas, comme en Algérie, où le président Abdelmadjid Tebboune est contesté par le mouvement du Hirak.
La colonisation, une page toujours pas tournée
Si les propos de Macron — qui a par la suite baissé le ton et plaidé l’apaisement — sont la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, les sujets de tensions sont nombreux et anciens. A commencer par l’histoire coloniale. Même si Macron est le premier président français né après l’indépendance de l’Algérie, et que Tebboune, né en 1945, est le premier président algérien à ne pas avoir participé à la guerre d’indépendance déclenchée en 1954.
Mais pourquoi une brouille de cette ampleur maintenant ? Parce que justement, la page de la colonisation n’est toujours pas tournée. A l’approche de certaines dates anniversaires importantes (la répression sanglante des manifestants algériens à Paris du 17 octobre 1961, les accords d’Evian du 18 mars 1962 mettant fin à la guerre et le 5 juillet 1962, date de la proclamation de l’indépendance), le président français a multiplié les initiatives mémorielles. Il a reconnu l’assassinat de l’avocat algérien Ali Boumendjel en 1957, restitué les crânes de résistants algériens du XIXe siècle et déclassifié les archives de la guerre d’indépendance. Mais il a aussi demandé « pardon » aux harkis, ces auxiliaires algériens de l’armée française considérés par les Algériens comme des traîtres. Ce qui a naturellement déplu en Algérie. Le ministre algérien des Moudjahidines, Laïd Rebigua, a ainsi affirmé : « Cela relève de leurs affaires. En ce qui nous concerne, la révolution a tranché concernant qui est le harki, qui est le traître et qui est le moudjahid et le chahid (ndlr : martyr) ». Et, évoquant la question hautement sensible de la mémoire, il a déclaré : « On ne peut pas parler de réconciliation au détriment de la mémoire collective algérienne », ajoutant : « Notre pardon concernant les événements de la guerre de libération et de la mémoire nationale est une question prioritaire, nos relations avec n’importe quelle partie devront principalement se fonder sur le respect de l’histoire, de l’identité et de la mémoire nationale ».
Car Macron avait également entrepris un travail inédit sur la guerre d’indépendance en commandant un rapport à l’historien Benjamin Stora. Un travail qu’il estime « franco-français », mais qui, au lieu de les apaiser, a fait monter les tensions : Alger a rejeté ce rapport émis début 2021, le considérant « non objectif » et reprochant l’absence de « reconnaissance officielle par la France des crimes de guerre et contre l’humanité perpétrés pendant les 132 années d’occupation ». De l’autre côté de la Méditerranée, on attend toujours des excuses qui ne viennent pas …
D’autres sujets qui fâchent
A cela s’ajoutent d’autres dossiers qui fâchent. La question migratoire par exemple. Paradoxalement, l’ancienne métropole tant décriée par ses aïeux continue d’attirer une jeunesse algérienne souvent désespérée. Selon le ministre français de l’Intérieur, entre janvier et juillet 2021, 7 731 OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) ont été prononcées à l’égard de clandestins algériens et 22 expulsions réalisées, soit un taux d’exécution de 0,2 %. D’où la crise autour des visas.
Mais il y a aussi d’autres dossiers politiques (anciens ou récents) où Paris et Alger ne sont pas sur la même longueur d’onde. En premier lieu, le Sahara occidental. Depuis plus de 45 ans, un conflit y oppose les indépendantistes du Front Polisario, dont l’Algérie est le principal soutien, au Maroc. Et Paris est jugée pencher du côté marocain. Ou encore la Libye, où les deux pays ne partagent pas les mêmes vues, ainsi que d’autres questions.
Entre l’Algérie et la France, c’est une relation entrelacée, jalonnée de ruptures, de réconciliations, de rancoeur et de rancune mais aussi de passion. Un peu comme un vieux couple qui s’aime et se déteste … .
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