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L’opium, l’argent et la guerre

Abir Taleb avec agences, Lundi, 23 août 2021

Impliqués dans la culture du pavot, dont ils tirent d’énormes profits, les Talibans promettent de ne plus faire de l’Afghanistan le premier producteur de drogue au monde. Une promesse peu crédible.

« Nous assurons à nos compatriotes et à la communauté internationale que nous ne produirons pas de stupéfiants. A partir de maintenant, personne ne sera impliqué, personne ne pourra être impliqué dans la contrebande de drogue ». C’est ce qu’a déclaré le porte-parole des Talibans, Zabihullah Mujahid, au lendemain de la chute de Kaboul. Car l’Afghanistan, c’est le premier producteur d’opium. La grande majorité de l’opium et de l’héroïne consommés dans le monde (80 à 90 % selon l’Onu) provient de ce pays, et leur production et exportation de zones contrôlées par les Talibans, qui ont taxé et commercialisé l’opium pendant leur insurrection de 20 ans. Et les bénéfices de sa culture ont de tout temps financé les différents conflits.

Il y a 20 ans, les Etats-Unis s’étaient pourtant dit déterminés à éradiquer la culture du pavot. Les Talibans aussi d’ailleurs. Et pourtant, selon l’Onu, l’Afghanistan reste un pays totalement gangréné par la drogue. En 2020, le pays comptait 224 000 hectares de pavot, soit une hausse de 37 % par rapport à 2019, selon l’Office des Nations-Unies contre les drogues et le crime (UNODC). Cela représente une production d’opium de 6 300 tonnes dont la valeur totale pour les exploitants agricoles équivaut à plus de 351 millions de dollars. Moins que le record de 2017, certes, lorsque la totalité des revenus de cette filière représentait entre 20 et 30 % du PIB national (4,1 à 6,6 milliards de dollars). Mais le pavot reste toujours une part importante de l’économie du pays. La superficie des terres plantées de pavot s’est établie en moyenne à environ 250 000 hectares au cours des quatre dernières années, soit environ quatre fois le niveau du milieu des années 1990, affirme l’Office des Nations-Unies contre les drogues et le crime. D’ailleurs, la baisse de production depuis 2017 est surtout liée aux bouleversements climatiques (sécheresse puis inondations), et non pas à une politique de lutte contre la culture de l’opium.

Toujours selon l’Onu, les Talibans sont désormais totalement impliqués dans la chaîne du pavot, de la plantation à l’exploitation, mais surtout en extorquant les agriculteurs. Les estimations de leurs gains vont de plus d’une dizaine de millions à plusieurs centaines de millions de dollars par an, alors que les Etats-Unis ont dépensé environ 8,6 milliards de dollars entre 2002 et 2017 pour freiner le trafic de drogue en Afghanistan, selon un rapport de 2018 de l’Inspecteur général spécial américain pour l’Afghanistan (SIGAR).

Une économie dépendante de cette culture

Dans ces conditions, les Talibans sont-ils crédibles en promettant la fin de ce trafic juteux ? Pour nombre d’analystes, la rhétorique anti-héroïne, tout comme les promesses similaires de respecter les droits de l’homme et la liberté des médias, s’inscrivent dans le cadre des efforts déployés par ces nouveaux dirigeants pour se montrer sous un jour plus modérés et gagner ainsi le soutien de la communauté internationale. Surtout en faisant cette promesse, le porte-parole des Talibans n’a pas manqué de souligner que pour être « un pays sans narcotiques », l’Afghanistan aurait « besoin de l’aide internationale » pour fournir aux agriculteurs des cultures alternatives. Un appel cynique alors que tant l’Otan, les Américains, les agences de l’Onu que des ONG ont tenté sans succès de briser la dépendance de l’Afghanistan à la culture du pavot depuis 10 ans. La stratégie américaine était d’aider les paysans à la reconversion vers d’autres cultures, mais s’était heurtée aux combattants talibans qui contrôlaient les principales régions de culture du pavot et tiraient des centaines de millions de dollars de cette industrie, selon les estimations des gouvernements américain et afghan.

Aussi, depuis le retour des Talibans, la communauté internationale a coupé les aides financières allouées au pays. L’aide internationale, qui représente 42 % du PIB, est pour l’essentiel suspendue. Le Fonds Monétaire International (FMI) a annoncé la semaine dernière qu’il suspendait les aides en faveur de l’Afghanistan, en raison de l’incertitude entourant le statut des dirigeants de Kaboul, et les Américains ont bloqué les transferts d’argent.

Or, l’Afghanistan dispose aussi d’importantes autres ressources encore inexploitées comme le cuivre, le cobalt et le lithium. Les Américains auraient même comparé l’Afghanistan à « l’Arabie saoudite du lithium ». Un trésor pour les maîtres de Kaboul : selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande en lithium, indispensable à la construction de batteries pour les voitures électriques, pourrait être multipliée par 40 dans les prochaines années. Dès 2010, le secrétariat américain à la Défense avait estimé les réserves en lithium à 1 000 milliards de dollars. Mais les nouveaux maîtres de Kaboul ont besoin de partenaires étrangers.

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