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Entre realpolitik et defiance

Abir Taleb avec agences, Mardi, 17 août 2021

Carrefour de l’Asie centrale, l’Afghanistan est depuis quarante ans le théâtre constant de conflits armés. Comment ses voisins traitent-ils avec cette donne et comment ont-ils anticipé le retour des Talibans ? Analyse.

Entre realpolitik et défiance
Les voisins de l’Afghanistan revoient leur stratégie après la prise de Kaboul.

L’Afghanistan a des frontières communes avec six autres pays : à l’extrême nord-est avec la Chine, au nord avec le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan, à l’ouest avec l’Iran, à l’est et au sud avec le Pakistan. Et à chacun de ces pays ses propres calculs, les intérêts étant cruciaux et les enjeux majeurs. Avant même la chute de Kaboul, chacun des voisins commençait à établir sa propre stratégie dans la perspective d’un Afghanistan entre les mains des Talibans. Début juillet, le Tadjikistan a rappelé près de 20 000 réservistes pour sécuriser la frontière. Et avant même ces derniers développements, la Russie, inquiète d’une déstabilisation de l’Asie centrale, mettait en garde. « La principale menace pour la région d’Asie centrale vient de la direction afghane », affirmait le général Valeri Guerassimov, chef d’état-major de l’armée russe, alors que Moscou a effectué des exercices militaires conjoints, du 30 juillet au 10 août en Ouzbékistan et du 5 au 10 août au Tadjikistan, deux pays qui étaient des entités de l’ex-URSS et qui sont toujours parrainés par Moscou, tout comme le Turkménistan. Les manoeuvres au Tadjikistan se situaient à 20 km d’une frontière largement contrôlée, du côté afghan, par les Talibans. Selon le général russe Alexandre Lapine, quelque 2 500 militaires ont pris part à ces exercices sur fond de « situation qui continue de s’aggraver en Afghanistan et de menace d’incursion de groupes terroristes radicaux aux frontières des pays d’Asie centrale ». Lapine a salué un « haut niveau de coordination » entre les forces russes, ouzbèkes et tadjikes lors de ces exercices. Moscou, qui a réaffirmé son soutien militaire à ses alliés de la région, a d’ores et déjà aussi annoncé une intensification des livraisons d’armes à ces pays. Les dirigeants des ex-Républiques soviétiques d’Asie centrale s’étaient auparavant réunis la semaine dernière au Turkménistan pour évoquer la situation en Afghanistan, et un haut responsable de la Défense tadjike, Cherali Mirzo, avait affirmé que l’organisation djihadiste Daech était l’un des « ennemis symboliques » combattus lors des exercices organisés avec la Russie. Car la Russie craint que les groupes affiliés aux Talibans ne se renforcent dans ces pays et ne menacent ainsi sa propre sécurité. Pour Moscou, qui voit l’Asie centrale comme une zone tampon entre l’Afghanistan et son territoire, l’enjeu est d’éviter l’émergence et l’infiltration de groupes terroristes dans sa zone d’influence.

Côté iranien, Téhéran a toujours eu des relations compliquées avec l’Afghanistan qui répondent à deux dynamiques : les divergences idéologiques et les relations avec les Etats-Unis. Le régime chiite n’a jamais caché son hostilité face aux sunnites Talibans, il s’alarme des potentielles répercussions pour les populations chiites de la région, en particulier la minorité Hazara. Mais Téhéran tente de temporiser.

Pragmatisme de Pékin

Plus réaliste, la Chine a indiqué, au lendemain de la prise de Kaboul par les insurgés, qu’elle souhaitait des « relations amicales » avec les Talibans. Pékin a entamé dès septembre 2019 des discussions avec les Talibans, dont une délégation avait été reçue à l’époque en Chine. La dernière rencontre officielle dans le pays remonte à fin juillet. Le n°2 des Talibans, le mollah Abdul Ghani Baradar, s’était notamment entretenu avec le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi. Les Talibans « ont assuré à la Chine que le sol afghan ne serait pas utilisé contre la sécurité de quelque pays que ce soit », a déclaré Mohammad Naeem, membre de la délégation des Talibans qui s’est rendue en Chine. L’Afghanistan et la Chine ne partagent que 76 km de frontière. Mais de l’autre côté se trouve la région chinoise du Xinjiang, à majorité musulmane, et Pékin redoute la menace que pourrait y faire peser un chaos en Afghanistan. A cela s’ajoutent les intérêts économiques : dans le cadre du projet des nouvelles routes de La Soie, un Afghanistan favorable au commerce serait un atout majeur pour la stratégie d’influence chinoise.

Fin juillet, le chef de la diplomatie chinoise a également rencontré son homologue pakistanais, Shah Mahmood Qureshi, à Chengdu, dans la province du Sichuan. « En tant que pays voisins de l’Afghanistan, la Chine et le Pakistan sont les plus directement affectés par la situation afghane. Il est nécessaire pour les deux parties de renforcer leur coopération en vue de répondre aux changements », avait-il déclaré, annonçant plusieurs aspects de coopération. Car le Pakistan est un autre pays voisin clé. Un pays dont le rôle est suspect, disent les analystes. En effet, les responsables pakistanais préfèrent une identité islamique plutôt que pachtoune en Afghanistan, ils veulent un régime qui ne soit pas favorable à l’Inde, leur ennemi de toujours. En 1996, Islamabad avait largement contribué à l’arrivée des Talibans au pouvoir et s’était montré plus impliqué en Afghanistan que n’importe quel autre voisin. Jusqu’en 2001, le Pakistan était l’un des seuls pays à reconnaître la légitimité du régime islamiste au pouvoir en Afghanistan.

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