Le départ des mercenaires reste la priorité numéro un de la communauté internationale. (Photo : AP)
Al-Ahram Hebdo : La Conférence Berlin 2 sur la Libye, organisée le 23 juin, s’est tenue dans un contexte différent. Ce contexte est-il suffisant pour parvenir à un règlement définitif ?
Dr Mona Soliman : La Conférence internationale sur la Libye a rassemblé, mercredi 23 juin, à Berlin, 16 pays et 4 organisations internationales (Nations-Unies, Union européenne, Union africaine et Ligue arabe). Ce n’est pas la première fois qu’une telle réunion a lieu, mais il y a une grande différence entre Berlin 1 et Berlin 2. Berlin 1 a été organisée alors que la situation était chaotique en Libye. La communauté internationale tentait alors d’arrêter le bain de sang et de trouver une issue à la crise. La situation est aujourd’hui différente. Il y a un nouveau gouvernement, un nouveau conseil présidentiel. Et ces autorités ont pu franchir d’importants pas pour rétablir la paix et la reconstruction. Il n’empêche que beaucoup reste à faire.
— Quels sont les obstacles qui persistent ?
— Il existe des difficultés dans l’application de la feuille de route. Les deux camps rivaux libyens (l’est et l’ouest) se lancent des accusations mutuelles : les leaders de l’ouest accusent le premier ministre, Abdel-Hamid Dbeibah, et le Conseil présidentiel de répondre aux revendications de l’est pour gagner la confiance de ceux-ci et renforcer ainsi leur propre puissance, et vice-versa. Ce qui est faux, car les autorités actuelles veulent instaurer la paix et réaliser des avancées. Autre obstacle, il existe des différends entre certains ministres et le premier ministre. Ce dernier n’insiste pas suffisamment sur le départ des mercenaires, alors que plusieurs ministres en font une priorité. En plus, Dbeibah a annoncé que la présence des mercenaires qui viennent de Turquie répondait aux accords conclus entre Ankara et les anciennes autorités libyennes. En revanche, il se déclare davantage opposé à la présence des mercenaires russes. Son équipe juge ainsi qu’il se rapproche de la Turquie en raison des intérêts qu’ils partagent. Autre point de discorde, le premier ministre veut ouvrir une autoroute proche de la côte, mais les forces alliées au maréchal Khalifa Haftar refusent. Enfin, Dbeibah a annoncé que tenir les élections à la date prévue le 24 décembre serait difficile.
— Justement, la tenue des élections en décembre prochain reste le plus grand défi. Mais un éventuel report ne serait-il pas fatal au processus de pacification ?
— Malheureusement, le premier ministre a raison et tenir les élections à la date prévue est difficile. Il est d’ailleurs fréquent que les délais fixés par les feuilles de route ne soient pas respectés à la lettre. Les obstacles sont nombreux. Par exemple, il faut unir les institutions de l’Etat, notamment les institutions sécuritaires, ce qui n’est pas encore le cas malgré de longues et difficiles discussions à cet effet. L’armée attend un gouvernement élu pour répondre à ses instructions. Or, un gouvernement élu ne peut pas voir le jour sans la tenue d’élections générales. Et pour tenir le scrutin, il y a de nombreux aspects techniques à préparer, et aucun signe n’annonce que ces préparatifs sont en train de se faire. C’est pourquoi le premier ministre prépare la communauté internationale au prolongement de la période de transition et à la tenue des élections.
— En cas de report des élections, quels sont les scénarios possibles ?
— La communauté internationale possède plusieurs cartes en main. La crise libyenne a besoin d’une intervention politique forte de l’Occident, les grandes puissances doivent renforcer leurs pressions sur la Turquie et la Russie pour retirer les mercenaires. L’Onu estime à quelque 20 000 le nombre de mercenaires et de combattants étrangers en Libye : des Russes du groupe privé Wagner, des Tchadiens, des Soudanais ou encore des Syriens. Leur présence entrave l’instauration de la sécurité, ce qui, à son tour, entrave la tenue du scrutin. Mais les deux pays ne veulent accueillir ces mercenaires, ni sur leur sol, ni dans le voisinage. La Turquie a déjà annoncé qu’elle refusait le retrait des mercenaires dans un délai limité. Il y aura sans doute un certain deal : la Turquie a exprimé sa volonté de sécuriser l’aéroport de Kaboul en Afghanistan. Ceci se fera peut-être en échange du retrait des mercenaires de Libye.
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