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Au Tchad, une transition à haut risque

Sabah Sabet avec agences, Dimanche, 25 avril 2021

Mahamat Idriss Déby, fils du président tchadien, Idriss Déby Itno, mort le 20 avril dans des combats contre des groupes rebelles, lui succède à la tête d’un Conseil militaire de transition. Une transition délicate dans un climat d’instabilité interne et régionale.

Au Tchad, une transition à haut risque
(Photo : Reuters)

Conflit ethnique, pré­sence de groupes rebelles, opposition agitée, menace terroriste et risque d’insta­bilité régionale. La liste est longue suite au décès brutal du président tcha­dien, Idriss Déby Itno, lors de combats contre les rebelles du Front pour l’Al­ternance et la Concorde au Tchad (FACT), un groupe d’opposants lour­dement armés, basé dans le sud libyen et composé majoritairement de membres issus de la communauté Gorane. Allié essentiel de la France dans la lutte contre le terrorisme, Déby, 68 ans, est décédé mardi 20 avril juste après sa réélection pour un 6e mandat contesté. Aussitôt après, un Conseil Militaire de Transition (CMT) a été proclamé sous la direction du fils du président, Mahamat Idriss Déby, jeune général de 37 ans. La Constitution est suspendue et de nou­velles élections seront organisées d’ici 18 mois.

La première tâche de Mahamat Idriss Déby devrait donc être celle d’assurer une transition démocratique à un pouvoir civil. Le CMT a déclaré que le passage de pouvoir se ferait dans un délai de 18 mois. Mais cette échéance est loin de rassurer les partis d’opposition. Ils craignent que le président du Conseil militaire ne s’accroche au pouvoir. L’opposition a en effet rejeté le CMT, dénonçant même un « coup d’Etat ». De même, la « Coalition militaire », l’un des mouvements armés actifs dans le nord du pays, a jugé le nouveau conseil transitoire illégal et illégitime, tout en exprimant sa grande préoccupation quant à la situation du pays. « Nous avons établi des contacts avec la junte actuelle, pour éviter d’arriver à une situation de guerre ouverte. Si la junte militaire ne reçoit pas cette main tendue, nous serons obligés, dans les jours et les semaines à venir, de marcher sur N’Djamena », a annoncé dans un communiqué Gassim Cherif, porte-parole de la coalition. La réaction du FACT, qui observe déjà une trêve, est, elle, plus modérée. Il se dit prêt à adopter un cessez-le-feu, afin de laisser une chance au dialogue. « Depuis cinq ans, nous avons toujours dit et répété que les problèmes du Tchad doivent être résolus autour d’une table ronde inclusive, mais nous nous sommes heurtés au refus catégorique du régime d’Idriss Déby », a dit Mahamat Mahadi Ali, leader de ce groupe armé. Pour calmer les opposants, le Mouvement Patriotique du Salut (MPS), formation du président défunt, a soutenu la formation du CMT, arguant qu’il « doit rester en place », car « le dialogue ne peut pas se passer dans le désordre ».

En effet, les acteurs politiques tcha­diens ont tous bien conscience que le dialogue est indispensable pour éviter l’instabilité dans le pays et dans toute la région. « La communauté interna­tionale doit bouger pour éviter que le Tchad ne sombre dans le chaos, faute de quoi l’instabilité risque de régner dans toute la région », a expliqué Mohamed Ezzeldine, président du centre Al-Nil pour les études afri­caines, lors d’une interview à la chaîne satellite Extra News. Selon lui, la nature tribale du pays nécessite une solution globale, approuvée par tous, d’autant plus que des conflits divisent certaines tribus. « Si ce n’est pas le cas, les combats ne s’arrêteront jamais dans ce pays riche en sources naturelles mais qui souffre de pau­vreté », dit-il.

Risques internes et régionaux

A ce stade, les différents acteurs sont d’accord pour s’assoir autour d’une table de négociation. Ceci a été rendu possible suite au passage, dans la capitale tchadienne, de plusieurs acteurs influents de la sous-région. En marge des obsèques de l’ancien prési­dent vendredi 23 avril, des premiers contacts ont été établis par les deux présidents, Mohamed Bazoum du Niger et Mohamed Ould Ghazouani de la Mauritanie, qui ont été mandatés par leurs collègues du G5 Sahel et le président français pour écouter les acteurs politiques sur le modèle de transition qu’ils souhaitent. « Nous avons pris cette décision parce qu’il n’y a pas d’initiative de médiation politique venant d’Afrique centrale en ce moment », ont expliqué les deux chefs d’Etat à la trentaine de leaders politiques de l’opposition et de la majorité confondus qui ont été conviés dans un hôtel de la capitale vendredi dernier.

Après les discussions, les média­teurs ont noté la nécessité d’un dialo­gue pour mettre en place des institu­tions de transition qui seront chargées de rédiger une nouvelle Constitution et d’organiser des élections. Les conclusions de la rencontre seront transmises au Conseil militaire de transition à qui les chefs d’Etat du G5 Sahel et la France ont demandé une transition inclusive qui prenne en compte toutes les composantes de la société tchadienne.

En attendant, les risques sont grands, tant pour le Tchad que pour la région. Sur le plan interne, les groupes rebelles dont le FACT, qui ont tenté mi-avril de marcher sur la capitale tchadienne, peuvent se renforcer dans les jours à venir, craignent les ana­lystes. Autres sources d’inquiétude, la présence de Boko Haram dans la région du lac Tchad, et l’instabilité au nord, à la frontière avec la Libye qui n’est pas sécurisée. Sur le plan régio­nal, une instabilité au Tchad peut affecter le Darfour, tout comme la situation au Sahel et au Nigeria .

Le Tchad, pilier essentiel de la lutte antiterroriste

Les partenaires du Tchad sont venus à son chevet. Les autres pays du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger) et la France, qui combattent ensemble les djihadistes dans cette région de l’Afrique, ont exprimé, vendredi 23 avril, leur « soutien commun au processus de transition civilo-militaire » mené par Mahamat Idriss Déby, a annoncé la présidence française. « La France ne laissera jamais personne, ni aujourd’hui, ni demain, remettre en cause la stabilité et l’intégrité du Tchad », a promis le président français, Emmanuel Macron, durant les funé­railles nationales du président tchadien Idriss Déby à N’Djamena, vendredi 23 avril. Alliée depuis longtemps au Tchad, la France lui a manifesté un soutien constant depuis l’arrivée au pouvoir, en 1990, d’Idriss Déby. L’armée française a été amenée à intervenir à plusieurs reprises pour stopper des groupes rebelles dans ce pays africain avec lequel Paris est lié par des accords de défense. En février 2008, une attaque rebelle, qui avait atteint les portes du palais présidentiel, avait ainsi été repoussée grâce au soutien de l’armée française. En 2019, la France avait également bombardé une colonne de rebelles entrés par la Libye dans le nord-est du pays.

La France joue également un rôle important auprès du G5 Sahel. Car au-delà des menaces internes, l’armée tchadienne lutte depuis 2015 contre la fraction du groupe nigérian Boko Haram affiliée à Daech. Elle fait partie d’une force multinationale mixte appuyée par les Occidentaux, et qui regroupe le Nigeria, le Niger et le Cameroun. Enfin, le Tchad participe à la force anti-dji­hadiste du G5 Sahel aux côtés de la Mauritanie, du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Dans ce contexte, malgré les tensions internes, Déby était apparu comme l’élé­ment stabilisateur d’une région agitée. En 2013, il a envoyé ses soldats combattre les djihadistes au Mali aux côtés des opérations françaises Serval, puis Barkhane. La capitale, N’Djamena, en abrite même le siège. Enfin, l’armée tchadienne a fourni aux Casques bleus de l’Onu présents au Mali un de leurs principaux contingents et est passée pour la force la plus aguerrie du G5 Sahel .

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