Macron, qui a participé par visioconférence au Sommet du G5 Sahel organisé à N’Djamena, au Tchad, a affirmé que la France ne réduirait pas « dans l’immédiat » ses effectifs militaires déployés au Sahel.
(Photo:AP)
Al-Ahram Hebdo : La lutte antiterroriste au Sahel demeure en tête des discussions de chaque réunion du G5 Sahel-France. Comment évaluez-vous les résultats du dernier sommet, et plus généralement les résultats de la lutte antiterroriste ?
Dr Hazem Aboul Saoud: La stratégie de la lutte antiterroriste ne doit en aucun cas reposer uniquement sur le côté militaire. Telle est l’erreur commise par la France depuis 8 ans. Depuis son intervention militaire au Mali par les opérations Serval, ensuite Barkhane, la France est présente sur le terrain avec un nombre important de militaires (4100 et actuellement 5100), mais qui ne convient pas avec la surface énorme où se trouvent les groupes djihadistes. Paris a eu recours à la solution militaire, mais a négligé les autres aspects comme le développement réel ou la lutte contre les idées extrémistes dans cette région pauvre du continent africain. Même la création d’une force de lutte antiterroriste au Sahel en 2014 (entrée en vigueur en 2017) n’a pas mis fin totalement au phénomène. Donc, après ces années, bien que des réussites aient eu lieu sur le terrain, que des chefs et des cadres terroristes aient été ciblés et que certains groupes aient subi de grandes pertes, la menace terroriste existe toujours. Selon les informations des instances de renseignements, devant chaque élément djihadiste tué, une dizaine d’autres rejoignent des organismes extrémistes, au point que cette menace s’est propagée vers l’ouest de l’Afrique touchant le golfe de Guinée.
— Malgré les critiques, le président français, Emmanuel Macron, a écarté, lors de sa participation par visioconférence au dernier sommet du G5 Sahel, toute baisse des effectifs militaires français dans la région dans l’immédiat …
— Il est vrai que l’engagement de la France dans cette région africaine fait face à une contestation interne en raison des pertes humaines et financières. Depuis 2013, au cours des opérations militaires antiterroristes Serval puis Barkhane, 50 soldats ont péri. S’y ajoute un coût financier lourd. Pour autant, la France ne peut pas se retirer d’une façon immédiate, cela mènera à une vraie crise dans la région, surtout dans les pays africains où la France possède des intérêts, comme le Mali. Un tel retrait risque de faire perdre à la France tous les succès qu’elle a jusque-là pu réaliser.
— Lors du Sommet de Pau, tenu l’année dernière en France, une force européenne a été créée pour rejoindre Paris dans la lutte antiterroriste. Cette européanisation de cette lutte peut-elle aider ?
— La task force européenne Takuba, créée en mars 2020 lors du Sommet du G5 de Pau, et qui rassemble un nombre d’Etats européens, mais aussi des pays du Golfe et des Etats africains côtiers, devrait aider dans la lutte antiterroriste. A travers ce nouveau groupement de forces spéciales, Macron vise à engager ses alliés européens sur le plan politique et militaire au Sahel et les amener davantage sur le théâtre sahélien. Pourtant, la vérité, c’est que tous les partenaires internationaux ou régionaux vont certainement chercher en premier lieu leurs propres intérêts.
— Ces dernières années, les Etats-Unis étaient partenaires de la scène africaine. Y aura-t-il un changement de position avec la nouvelle Administration ?
— Premièrement, on doit signaler que les pays puissants suivent une politique stable qui ne change pas de fond en comble avec le changement des administrations. Deuxièmement, la priorité de ces pays, c’est de réaliser leurs propres intérêts. Les Etats-Unis présentent la plus grande force internationale existant dans d’autres régions d’Afrique, comme la Corne de l’Afrique, mais ne vont jamais remplacer la France. Mais il se peut qu’ils interviennent d’une manière limitée.
— Et qu’en est-il des armées africaines elles-mêmes, sont-elles prêtes à prendre la relève ?
— Il est vrai que les armées des pays membres du G5 sont relativement bien entraînées, et qu’elles reçoivent des soutiens logistiques et techniques, pour autant, elles ne peuvent pas assumer seules la responsabilité de la lutte antiterroriste. Mais certains pays, comme l’Algérie, peuvent coopérer et leur tendre la main grâce à leur expérience et l’efficacité de leurs armées.
— Qu’est-ce qui doit être entrepris parallèlement aux efforts militaires ?
— La solution doit renfermer le volet politique parallèlement à des efforts de développement durable dans tous les domaines éducatif, sanitaire et culturel. Il faudra des années pour mettre fin à la pauvreté et à la souffrance des peuples de cette région, et pour que la solution ne soit pas, pour un nombre d’entre eux, de rejoindre les groupes terroristes pour gagner du pain. Il y a un autre point important : les problèmes africains ne seront résolus que par des solutions africaines.
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