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Entre Washington et Téhéran, le tir à la corde

Abir Taleb avec agences, Mercredi, 10 février 2021

Téhéran et Washington campent sur leurs positions, chacun posant ses conditions avant la reprise du dialogue. Un dialogue qui devrait inclure la question du nucléaire, mais aussi celles des missiles balistiques et du rôle régional de l’Iran.

Entre Washington et Téhéran, le tir à la corde
Khamenei demande une levée préalable des sanctions « dans la pratique », Biden l’exclut.

A qui de faire le premier pas ? Tant l’Iran que les Etats-Unis attendent que l’autre commence. Le dossier du nucléaire iranien est sans doute le premier dossier de politique étrangère sur la table de la nouvelle Administration américaine. Et pourtant, la question est de savoir comment faire bouger les choses, après des années de crispations et de politique de pression maximale menée par l’ex-président américain, Donald Trump, à l’égard de l’Iran. Chacune des deux parties pose ses conditions. Le président américain, Joe Biden, s’est certes dit prêt à revenir dans l’accord sur le nucléaire iranien conclu en 2015 (duquel Trump s’était retiré en mai 2018, avant de réimposer des sanctions à Téhéran), pas à n’importe quel prix. Il a exclu, dimanche 7 février, une levée des sanctions pour le moment, comme l’ont encore réclamé les dirigeants iraniens. Interrogé par la chaîne CBS sur la possibilité de lever les sanctions pour convaincre Téhéran de revenir à la table des négociations afin de sauver l’accord sur le nucléaire iranien, le nouveau président des Etats-Unis a clairement répondu : « Non ». Et à la journaliste qui lui demandait si les Iraniens devaient « d’abord cesser d’enrichir de l’uranium », il a répondu avec un hochement de tête.

Si le président américain s’est montré intraitable sur la marche à suivre, le guide suprême iranien, Ali Khamenei, a également campé sur ses positions. « S’ils veulent que l’Iran retourne à ses engagements (...), les Etats-Unis doivent entièrement lever les sanctions, dans la pratique et non sur le papier », a affirmé, dimanche 7 février, l’ayatollah, dans un discours télévisé. « Nous vérifierons ensuite si dans les faits les sanctions ont été levées correctement », a-t-il prévenu, assurant qu’il s’agit-là de « la politique définitive de la République islamique ». Quant au chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, il a réaffirmé ces derniers jours que les Américains devaient d’abord « démontrer leur bonne foi ».

Dialogue de sourds ? Pour l’instant, surtout, les deux pays ennemis s’observent et font monter les enchères. Le nouveau gouvernement américain reste volontairement vague sur la manière dont il entend procéder. Au point que Biden a totalement occulté ce dossier, jeudi 4 février, dans son premier discours de politique étrangère, alors même qu’il a été présenté par son équipe comme une « priorité cruciale ». Son secrétaire d’Etat, Antony Blinken, a, lui, parlé, vendredi 5 février, avec ses homologues allemand, français et britannique pour présenter un front commun avec les trois signataires européens qui ont toujours dénoncé le retrait unilatéral de Donald Trump.

En attendant un premier contact direct entre Washington et Téhéran, les grandes manoeuvres seraient-elles lancées en coulisses ? C’est du moins ce qu’a suggéré Zarif, en proposant aux Européens de « chorégraphier » les concessions des deux pays, qui pourraient elles-mêmes être « synchronisées » ou « coordonnées ». Aussi, des contacts indirects seraient engagés entre Washington et Téhéran. Via des intermédiaires, dont plusieurs pays de la région, le Koweït, Oman, le Qatar et l’Iraq, dont le ministre des Affaires étrangères était en Iran mercredi 3 février.

Entre Washington et Téhéran, le tir à la corde

Or, le temps presse de toutes parts, d’autant que le 21 février, l’Iran pourrait restreindre l’accès des inspecteurs internationaux à ses sites, une ligne rouge qui risque de braquer tous les autres signataires. Mohammad Javad Zarif a tenté, dimanche 7 février, de relativiser ce risque, tout en s’en servant comme d’un levier pour faire pression sur Washington. Il y a donc urgence à désamorcer le processus. Le premier obstacle à surmonter, c’est de rétablir un climat de confiance. C’est dans ce contexte qu’il faut regarder l’annonce du retrait du porte-avions Nimitz. C’est aussi ce qui explique le choix des hommes retenus par Biden pour renouer le contact avec les Iraniens : Jake Sullivan, Robert Malley, de bons connaisseurs du dossier, anciens piliers de l’équipe Obama qui avait ratifié l’accord sur le nucléaire.

Plusieurs dossiers enchevêtrés

Mais la suite s’annonce compliquée. Selon les observateurs, lancer le processus pourrait commencer par une annonce simultanée des deux capitales pour un retour dans l’accord : les Etats-Unis lèvent une partie des sanctions économiques en autorisant l’Iran à exporter à nouveau son pétrole. Et l’Iran en même temps accepte d’arrêter son programme d’enrichissement excessif de l’uranium. Ensuite, il faudra un calendrier de négociations rapides, avec l’écueil des autres sujets qui fâchent, notamment le programme balistique conventionnel de Téhéran.

Mais aussi, le rôle régional de l’Iran. A ce sujet, les choses seraient aussi en train de bouger. L’émissaire des Nations-Unies pour le Yémen, Martin Griffiths, était en Iran, dimanche 7 et lundi 8 février, pour la première fois depuis le début de sa mission selon la télévision d’Etat iranienne. Au cours de ses discussions avec les responsables iraniens, Griffiths a souligné le rôle que peut jouer l’Iran pour aider à établir la paix dans la région.

La visite intervient également après deux annonces significatives : Joe Biden a annoncé, jeudi 4 février, la fin du soutien des Etats-Unis aux opérations menées par l’Arabie saoudite au Yémen. Son administration a ensuite fait savoir le lendemain qu’elle comptait retirer les Houthis de sa liste des entités terroristes (ce qu’avait fait Trump juste avant la fin de son mandat) en raison de la crise humanitaire au Yémen, où, selon l’Onu, 80 % de la population a besoin d’aide. Autant de signes annonciateurs de changements.

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