Al-Ahram Hebdo : Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a annoncé que les Etats-Unis posaient les premiers pas vers une reprise progressive du dialogue avec l’Iran. Est-ce un signe de rapprochement ?
Dr Nanis Abdel-Razek Fahmy : La nouvelle Administration de Biden est complètement différente de celle de son prédécesseur. Lors de sa campagne électorale, le président américain, Joe Biden, avait annoncé que son attitude envers l’Iran serait plus diplomatique et plus coopérative, en considérant la politique de Trump vis-à-vis de l’Iran comme un échec. L’ex-président Donald Trump, avec sa position agressive et menaçante et sa politique de pression maximale, n’a fait qu’envenimer les relations, et même la situation dans toute la région.
— La nomination de Robert Malley, nouvel émissaire de Joe Biden pour l’Iran, va-t-elle marquer un changement total de politique ?
— Bien sûr, le choix de Robert Malley à la tête de l’équipe chargée de renégocier un accord avec l’Iran sur le nucléaire convient certainement avec cette voie. Ce diplomate, qui a servi sous les Administrations Clinton et Obama, est accusé par quelques élus républicains hostiles à la reprise du dialogue avec l’Iran d’avoir de la sympathie pour le régime de Téhéran ainsi que sa supposée faiblesse vis-à-vis de lui. En vérité, Malley a une expérience dans la négociation avec l’Iran, puisqu’il a été l’un des principaux artisans de l’accord sur le nucléaire signé en 2015 avec l’Iran.
— Oui, mais les embûches restent importantes et chacune des deux parties attend de l’autre qu’elle fasse le premier pas …
— C’est vrai. Biden a indiqué qu’il souhaitait réintégrer le Plan d’action global conjoint (JCPOA) de 2015, et a promis qu’il « offrirait à Téhéran une voie crédible de retour à la diplomatie, mais à condition que l’Iran revienne à un respect strict de l’accord nucléaire ». Mais, je pense que contraindre l’Iran à se conformer à ses engagements, avant de lever les sanctions prises par l’Administration Trump, est une affaire difficile, et c’est l’un des défis les plus compliqués de la diplomatie américaine, car ce sont les Etats-Unis qui se sont retirés de l’accord en 2018 et pas l’Iran. Donc, c’est à Washington de prendre le premier pas en retournant au texte de 2015 et en mettant fin au moins à une partie des sanctions contre l’Iran en échange d’un contrôle de son programme nucléaire controversé.
— Mais si l’Iran s’entête, comment donc sortir de cette impasse, d’autant plus que Téhéran a rejeté l’inclusion de parties régionales dans de futures discussions ?
— L’accord sur le nucléaire iranien est conclu en 2015 avec les grandes puissances mondiales sans la participation des acteurs régionaux qui sont pourtant touchés par ces tensions. Alors, proposer l’inclusion de certains participants régionaux comme l’Arabie saoudite ou les Emirats arabes unis pourrait agrandir le cercle des discussions, ce qui n’est pas une mauvaise idée. En fait, pour que l’Iran fasse des concessions, il est nécessaire de proposer d’abord une levée partielle des sanctions pour l’encourager à retourner à ses engagements inclus dans l’accord.
Le désengagement des clauses de l’accord sur le nucléaire, mais aussi la question des missiles balistiques,sont les questions à discuter avec Téhéran. (Photo : Reuters)
— En tant qu’un des 6 pays qui ont conclu l’accord de 2015, la Russie a appelé l’Administration américaine de Joe Biden à réintégrer la première l’accord sur le nucléaire iranien, comment interprétez-vous cette demande ?
— A travers cet appel, la Russie a voulu apporter son soutien à l’Iran, l’un de ses grands alliés dans la région. Aussi, la Russie a des intérêts avec l’Iran, notamment en Syrie. Elle ne veut donc pas le laisser tomber. Moscou suit la logique classique basée sur le respect du droit international et appelle donc Washington à le respecter en réintégrant le texte de 2015 qui mettait fin aux sanctions pesant sur l’Iran en échange d’un contrôle de son programme nucléaire controversé.
— Et qu’en est-il des autres signataires du JCPOA ?
— Depuis le début, les Européens étaient contre le retrait des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire, surtout la France. En même temps, ils s’opposent aux actes de l’Iran, que ce soit son désengagement des clauses de l’accord ou encore sa politique régionale. Ce sont deux volets qui vont de pair, et les Européens favorisent un dialogue avec Téhéran afin de faire baisser les tensions dans la région.
— Israël, en revanche, s’inquiète et menace même …
— Israël est certainement contre tout rapprochement entre Téhéran et Washington. Il avait, dès le départ, rejeté l’accord sur le nucléaire, et avait applaudi le retrait des Américains du JCPOA en 2018 et les nouvelles sanctions américaines contre l’Iran. Il est donc normal qu’avec l’avènement de la nouvelle Administration américaine, les Israéliens haussent le ton, d’autant plus qu’aucune Administration n’a autant donné à Israël que celle de Donald Trump. C’est pour cela que l’Etat hébreu se veut menaçant vis-à-vis de l’Iran, laissant planer la menace d’une éventuelle guerre. Mais cela reste peu probable, chacun faisant pression à sa manière.
— A votre avis, comment les choses vont-elles évoluer dans les semaines et les mois à venir ?
— Le retour à la table des négociations et, par suite, la réintégration de Washington à l’accord de 2015, et le réengagement de l’Iran à respecter les clauses de l’accord sont primordiaux. Mais la question ne s’arrête pas là, la question des missiles balistiques est aussi au centre des préoccupations. Tout comme celle du rôle iranien dans la région. Autant de questions qui nécessitent beaucoup de temps pour être réglées.
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