
Les funérailles de Mohsen Fakhrizadeh ont eu lieu lundi 30 novembre à Téhéran en présence de hauts responsables iraniens.(Photo : Reuters)
Riposter tout de suite en malmenant encore un peu plus un accord sur le nucléaire iranien moribond, ou attendre ? Le débat politique était vif, dimanche 29 novembre à Téhéran, sur la réponse à apporter à l’assassinat, attribué à Israël, d’un éminent physicien nucléaire iranien. Lors de la séance du parlement, dimanche, les députés ont signé à l’unanimité un appel à venger le savant. Mais prenant le contre-pied de l’approche prudente développée la veille par le président Hassan Rohani, ils plaident en faveur d’une loi par laquelle l’Iran cesserait d’autoriser l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) à inspecter ses installations nucléaires. Auparavant, le président iranien, Hassan Rohani, a accusé, samedi 28 novembre, Israël, l’ennemi juré de la République islamique, de vouloir semer le chaos et promis une riposte « en temps et en heure », tout en prévenant que l’Iran ne tomberait pas dans le « piège » tendu par Israël. Et le guide suprême iranien, Ali Khamenei, a appelé « à punir les auteurs et les responsables et à continuer les efforts scientifiques et techniques de ce martyr dans tous les domaines où il travaillait ».
En effet, Mohsen Fakhrizadeh, tué vendredi 27 novembre dans une attaque au véhicule piégé, suivie d’une fusillade contre sa voiture, selon le ministère de la Défense iranien, avait été qualifié par le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, de père du programme iranien d’armement nucléaire. Le département d’Etat américain avait indiqué en 2008 que Fakhrizadeh menait des activités et des transactions contribuant au développement du programme nucléaire de l’Iran. Des médias américains l’avaient aussi qualifié de « cible numéro 1 du Mossad », l’agence de renseignement israélienne.
« Il s’agit d’un acte critique, le scientifique était une personne importante dans le programme nucléaire et jouissait d’une grande influence en Iran, mais aussi dans le domaine nucléaire international. Son assassinat est d’abord la preuve de lacunes sécuritaires », explique Dr Mona Soliman, professeure de sciences politique à l’Université du Caire. Autre raison, ajoute-t-elle, « cet assassinat embarrasse à la fois l’Iran et le président américain élu Joe Biden. Côté iranien, malgré les déclarations officielles, Téhéran ne peut pas riposter gravement pour ne pas menacer ses relations avec le président américain élu. En même temps, ne pas riposter nuit à son image. Côté américain, cet assassinat marque un mauvais départ pour les relations bilatérales, surtout après son annonce de vouloir reprendre les négociations avec les Iraniens ». Avis partagé par Dr Ahmad Youssef, directeur du Centre des études arabes et africaines, qui estime que le timing est très important. « L’Iran a les bras croisés, n’importe quel acte de vengeance va affecter les futures relations avec les Etats-Unis, alors que les Iraniens espèrent une nouvelle ère dans ces relations. Il faut noter que Téhéran, malgré ses menaces, ne cible jamais Israël. C’est une question de stratégie, de lignes rouges que les deux Etats ne dépassent pas », estime-t-il.
Téhéran se voit donc contraint d’attendre la nouvelle Administration américaine, avec laquelle de nouvelles négociations sont envisageables. Des discussions qui s’annoncent difficiles, selon Ahmad Youssef. « Il s’agit d’une certaine stratégie entre les trois pays : l’Iran, les Etats-Unis et Israël, mais en cachette. Le dernier accord avait un côté tacite : limiter les activités nucléaires de l’Iran mais le laisser intervenir dans certaines questions régionales. Or, cette extension de l’influence iranienne a enflammé la région et dérange Israël. Donc, toute nouvelle négociation inclura cette question », affirme le politologue.
Cet assassinat intervient moins de deux mois avant l’investiture du démocrate Joe Biden à la présidence des Etats-Unis. Biden entend changer de posture vis-à-vis de l’Iran après les quatre années de présidence de Donald Trump, qui s’est retiré en 2018 de l’accord sur le programme nucléaire iranien et qui a opté pour une politique de pression maximale. Il a dit vouloir faire revenir les Etats-Unis dans l’accord de Vienne. Mais il disposera de peu de temps entre sa prise de fonctions, le 20 janvier, et la présidentielle iranienne, 18 juin, pour laquelle les conservateurs partent favoris après leur victoire écrasante aux législatives de février aux dépens de l’alliance des modérés et réformateurs soutenant M. Rohani.
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